J'en avait un peu assez, de tous ces résidents peu coopératifs. D'habitude, j'en faisais fi et continuais de bosser, mais là, j'en avait sérieusement marre! A tel point que j'avais presque jeté le dernier que j'avais appelé en consultation à la porte. J'allai dans ma chambre et pris une photo de ma soeur, que j'engouffrai dans ma poche. Même si nous travaillions dans le même établissement, je la voyais rarement et elle me manquait. Je pris également un livre sous le bras, ainsi que les lunettes dont je me servais pour lire – fichu nerf optique! –. Et finalement, je me dirigeai vers le jardin. Passant entre les résidents qui traînaient, j'allai m'asseoir à l'ombre d'un arbre, sur la pelouse.
Je mis mes lunettes et commençai à lire, mais abandonnai bien vite cette idée. Après un soupir, je rangeai mes lunettes et les posai sur mon livre, qui lui-même se fit poser à terre. Je sortis la photo et la regardai longuement, avant de m'assoupir – en gardant la photo en mains, bien sûr –. Comme quoi, le soleil pouvait être assommant, à force.
Lorsque je me réveillai, il n'y avait plus qu'un ou deux résidents dans la cour. Cela me paraissait bien calme et bien vide. Je remis la photo de ma soeur dans ma poche, entendant un étrange bruit. Je tournai la tête vers l'origine du bruit, contournai le tronc et tombai sur... Une dessinatrice. Admirative, je la regardai faire, un léger sourire aux lèvres.

(HRP : Désolée, mes débuts sont nuls... En plus, j'ai du retard T.T J'ai honte...).

Spoiler:

Il faisait beau. Très beau. Trop beau, en fait. La chaleur écrasante du soleil de Californie, en cette fin d'après-midi, transformait les choses et les gens en un brouillard de poussière lumineuse. La plupart des résidents lézardaient au soleil dehors, quand ils ne préféraient pas rejoindre la fraîcheur bienfaisante des chambres, voire celle de l'infirmerie pour ceux qui supportaient le plus mal ces températures extrêmes. Aussi les participants aux ateliers d'art que Jenna avait organisés ce jour-là s'étaient-ils faits rares, et, voyant les quelques irréductibles qui lui étaient restés fidèles s'endormir à moitié sur leurs toiles - elle avait décidé de leur apprendre la peinture à l'huile, ce qui était plutôt salissant et nécessitait a posteriori l'emploi de détachants aussi divers que variés -, la jeune femme avait-elle pris le parti d'abréger leurs souffrances - et les siennes, par la même occasion, parce qu'essayer de motiver des éponges à sueur n'était pas l'activité la plus folichonne qu'elle eût exercé dans sa vie. Laissant la salle et l'armoire ouvertes comme à son habitude, elle avait gratifié ses chères têtes blondes d'un "le premier qui fume, c'est deux tartes dans sa face, y a du white spirit partout, alors évitez de foutre le feu", avait coincé son carnet à dessin sous son bras, et avait pris la tangente, allumant, aussitôt sortie de la salle, une des clopes qu'elle honnissait tant chez les artistes en herbe de tout poil qui fréquentaient l'Atelier.
Elle traversa rapidement la cour où quelques adolescents fumaient et discutaient, ramollis par la chaleur, avant de déboucher dans le jardin. Elle avait opté ce jour-là pour un short kaki vaguement militaire et un marcel dont le blanc immaculé, après trois heures de peinture à l'huile, n'était plus qu'un vague souvenir. Mais c'étaient là les risques du métier. Sa clope toujours au bec, elle chercha un coin d'ombre, la main en visière. Un arbre, au loin, retint son attention. Sous ses sandales en cuir, la pelouse desséchée par le soleil de plomb émit un froissement qui criait "j'ai soif".

*Pleut jamais, dans ce pays... On se demande bien comment il y a encore des arbres.*

Alors qu'elle arrivait près de l'arbre salvateur, une forme affalée près de celui-ci retint son attention. Elle reconnut bien vite une des psychologues de l'institut... Lara? Non, Laura. Un livre gisant près d'elle, la jeune femme dormait à poings fermés. Un sourire étira les lèvres de Scottie, qui ouvrit son carnet à dessin, et, en quelques traits, esquissa le visage détendu de sa collègue. Puis, à pas de loup, elle contourna l'arbre, puis s'y adossa et s'assit souplement, les jambes croisées en tailleur.
Crayon en dextre, elle continua son dessin, ne s'arrêtant de temps à autre que pour purger sa cigarette de sa cendre. Les quelques lignes qu'elle avait tracées lui suffisaient pour faire quelque chose d'envisageable, et puis ça faisait travailler sa mémoire immédiate. Jenna aimait bien se lancer des défis à elle-même. L'émulation était quasi absente, à Teenagers. Même si il lui arrivait de mettre sa technique à l'épreuve, la confrontant à celle des résidents, la plupart de ceux-ci étaient autodidactes, et ça limitait fortement le champ des possibles.
Trois cigarettes plus tard, un paquet de Basics et un vieux briquet bleu gisant à côté d'elle, Scottie attaquait l'écorce de l'arbre sous lequel la jeune femme sommeillait et qui devait former l'arrière-plan de son dessin. Concentrée par son travail, elle ne releva la tête qu'après plusieurs minutes, pour découvrir le visage de son modèle, visiblement bien réveillé. Sous l'effet de la surprise, la brune eut un mouvement de recul, et son coude heurta douloureusement le tronc situé derrière elle. La douleur lui fit lâcher carnet et crayon.

- M*rde! Qu'est-ce qu'il fout là, cet arbre? s'indigna-t-elle en grimaçant, secouant son bras et se massant le coude pour en chasser les fourmis que le choc y avait fait naître.

Elle prit soudain conscience du fait qu'elle n'offrait pas un visage très avenant à la nouvelle venue et tenta de se recomposer une expression plus amicale. Elle eut un sourire un peu gêné.

- Excuse-moi, je ne t'avais pas entendue arriver. T'as bien dormi? demanda-t-elle, souriant plus franchement.

La réaction de la jeune femme ne fût pas exactement – pas du tout, même – celle à laquelle je m'attendais. En effet, en me voyant, elle eût un mouvement de recul et heurta l'arbre, me faisant hausser un sourcil. Je faisais peur, quand je sortais d'une sieste, ou quoi? La demoiselle jura et se massa le coude, avant de s'adresser à moi avec un sourire.

- Euh... Ouais, j'ai bien dormi.

La surprise devait se lire sur mon visage. Je fis cependant mon possible pour reprendre une tronche décente, me demandant depuis combien de temps elle était là. Je regardai un peu ce qui l'entourait : Quelques mégots, un paquet de clopes et un briquet. Et surtout... Un carnet à dessin et un crayon. C'était mon jour de chance, j'avais l'impression. Moi qui adorait les dessinateurs, j'étais servie!
Je m'approchai un peu d'elle et m'assit à ses côtés. Pas en tailleur, parce que je n'avais pas envie que les résidents qui passaient voient mes sous-vêtements, mais je me dis tout de même à l'aise, les jambes repliées près de moi.

- Ca ne te dérange pas, si je m'installe?

Je ne lui avait pas vraiment demandé son avis, en fait. Je ramassai son carnet et son crayon et les lui tendit, ne regardant pas l'œuvre qu'elle avait commencé à esquisser par pur respect.

- Hem, j'espère que je ne te gêne pas, vu que tu dessinais...

Je lui fis un sourire un peu gêné, me massant la nuque. En même temps, j'essayais de me remémorer son prénom... Sans succès. A croire que mon esprit était encore embrumé. Pas tellement ma faute, d'ailleurs : J'avais rêvé d'un truc plus qu'agréable.
Je regardai un peu autour de nous et constatai que les résidents s'étaient tous massés à l'ombre. Même si aucun n'osait se mettre près de nous. Genre, on était des grands méchants loups qui allaient les bouffer juste sous prétexte qu'on faisait partie du personnel de l'institut. Ca me faisait toujours marrer, ce genre de réaction, chez eux.

- Par contre, heum, excuse-moi, mais... J'ai oublié ton prénom.

Un petit rire gêné, plus nerveux qu'autre chose, s'échappa de mes lèvres. J'avais un peu l'impression d'être une boulette, et ça, c'était assez peu agréable. Comme quoi, dormir au soleil, c'est pas forcément bon pour la mémoire! Foutue chaleur.

(HRP : Pas grave ^^.)

Jenna tira sur sa cigarette, s'aperçut qu'elle était sur le filtre, exhala sa dernière bouffée et écrasa ce qui devint son quatrième mégot, avant de ranger celui-ci bien serré contre ses petits camarades, près du paquet de Basics ouvert. Elle n'aimait pas laisser ses déchets dans le parc. Beaucoup le faisaient, mais ça donnait du travail aux agents d'entretien. Et puis en plus c'était moche. Et Scottie n'aimait pas que l'on rendît laides les choses qui étaient belles à l'origine. Elle toisa la psychologue, essayant de décider si elle s'embellissait ou s'enlaidissait par sa tenue excentrique et sa couleur de cheveux peu commune.

*Elle doit dépenser un fric en teinture... Pire que moi avec mes pinceaux!*

Elle-même masquait les quelques fils argentés qui se détachaient dans la masse sombre et frisée de sa chevelure par des colorations. Elle se plaignait souvent de paraître plus jeune que son âge, mais elle aurait cent fois préféré avoir des rides que des cheveux gris. La nature semblait cependant avoir décidé de la contrarier par tous les moyens possibles, puisqu'à vingt-sept ans les seules rides qui creusaient son visage encore presque enfantin étaient celles du sourire. Justement, les lèvres de Jenna s'étirèrent une nouvelle fois, amicalement, tandis que d'un geste elle invitait la jeune femme à prendre place.

- T'inquiète, ça me gêne pas. L'herbe est à tout le monde.

Laura lui tendit son matériel et elle saisit carnet et crayon avant d'ouvrir le premier, jetant des coups d'oeil rapides au visage de la psychologue, corrigeant un trait çà et là. Le rendu n'était bien entendu pas parfait, mais Jenna était plutôt satisfaite de son travail. Elle avait pris quelques libertés avec les lèvres de la jeune femme, les réduisant à un simple trait, un autre, plus court, figurant le creux du menton. A force de dessiner des comics, elle avait parfois un peu de mal avec les volumes, surtout sans modèle. Mais la jeune femme aux cheveux teints, avec ses traits réguliers, représentait un sujet d'exercice tout à fait académique. Aussi Scottie éclata-t-elle de rire lorsque son interlocutrice lui demanda si elle la dérangeait.

- Bien sûr que non, tu ne me déranges pas... Tu m'as fourni un moyen d'occuper mon après-midi!

Et, ce disant, elle montra à Laura le dessin presque achevé. Seul le tronc d'arbre formant l'arrière-plan avait encore besoin d'être retravaillé, et de toute façon Jenna avait l'habitude de modifier ses croquis, même une fois terminés. Mais bon, ça avait quand même de la gueule, et la dessinatrice pencha la tête de côté, curieuse de la réaction de sa collègue. Elle eut un geste de la main, comme pour chasser un insecte importun, lorsque celle-ci lui demanda de lui rappeler son prénom, s'excusant une nouvelle fois.

- J'm'appelle Jenna, mais tout le monde m'appelle Scottie, même certains mômes. Et t'excuse pas, c'est pas comme si on avait l'habitude de prendre le thé ensemble, hein. Toi c'est... Laura, c'est ça?

Je refusais catégoriquement de jeter un œil à la création de la jeune femme : Elle ne m'y avait pas autorisée, je n'avais donc pas le droit de ''violer'' ainsi son œuvre. Et finalement, lorsqu'elle reprit la parole, je me tournai vers elle... Pour être subjuguée par la beauté du dessin. Quoi, c'était moi? Waow. En plus, moi qui adorais les portraitistes... Plus par réflexe qu'autre chose, j'agrippai le cahier; sans toutefois l'ôter des mains de ma collègue ni froisser une seule feuille.

- Scottie? Okay. Oui oui, moi c'est Laura.

Je ne pouvais détacher mes yeux du portrait, comme une gamine qui passait devant un magasin de jouets.

- Mais c'est... Waow! Je trouve pas de mots.

Je contemplai encore un moment le dessin, puis me redressai légèrement pour porter à nouveau les yeux vers la dessinatrice.

- Mais bon sang, t'es quoi ici? Psy? Éducatrice? Quelqu'un de la direction?

J'avais peut-être déjà entendu parler d'elle, ne savait-on jamais. Son surnom me disait quelque chose : Peut-être avais-je dû entendre l'un ou l'autre des résidents le prononcer. Enfin; c'était déjà un bon début. Et puis, pour mon plus grand bonheur, le contact avait l'air de bien passer avec elle.

(HRP : Pardon pour le gros retard et la longueur du post... J'ai honte.)