Après-midi ensoleillé d'une fin de printemps, le junkie profite paresseusement de l'ombre d'un grand chêne, dans le jardin de l'institut. Adossé à ce dernier, il referme pensivement le livre qu'il vient de finir, "Justine ou les malheurs de la vertu" du Marquis de Sade. Un auteur français dont il avait eu des échos et qu'il a lu pour la première fois ; un peu par hasard tout de même. Il se trouve que Nath' a la politique étrange de choisir une lettre par semaine, et de lire au hasard un livre dont l'auteur commence par cette lettre.

Il se trouve qu'en ce moment, c'est la semaine du 'S'. Et appréciant la littérature classique, il a choisit ce bon vieux Marquis. Nathanaël sourit doucement en méditant sur ce qu'il venait de lire ; c'était limite du vieil érotisme, franchissant parfois la barrière de la pornographie, et il en avait plutôt été surprit au début. Mais au final, il en apprécie à sa juste valeur l'obscénité et l'humour noir de l'auteur. Une histoire malsaine et anarchiste où le vice triomphe, sûrement très dérangeante pour l'époque. Pas mal du tout.

Il se lève et s'étire, pour ne pas finir assoupit par le chant des grillons, et se dirige vers l'institut, le bouquin sous le bras. Sa peau pâle supporte difficilement le soleil, il ne préfère donc pas s'attarder, et finit par profiter de l'agréable fraîcheur du bâtiment. Il se sent bien. Il se sent toujours bien après avoir lu, ça lui aère la tête et lui fait penser à autre chose qu'à ses chimères. Mais cette petite escapade dehors lui a ouvert l'appétit, et il se découvre une envie féroce de chocolat. Il décide donc de faire un saut rapide vers la cuisine, et une fois arrivé, repère vite la cuisinière à qui il a l'habitude de soutirer de la bouffe. Elle est grosse, moche, avec la trentaine passée, mais elle a le béguin pour lui et le trouve "si mignon avec son air de chien battu". En parlant de chien, Nath' sort instinctivement ses yeux de cocker et quémande comme un enfant un petit Mars, parce que tête en l'air comme il est, il en a oublié le repas de ce midi. Il ne lui faut que dix secondes pour obtenir ce qu'il était venu chercher, avec un "pauvre petit, tiens" en prime. Elle lui en donne même un autre pour la route, qu'il fourre dans sa poche. Merci madame. Puis le petit diablotin charmeur reprend sa route avec insouciance, se délectant d'avance du mélange chocolat-caramel avant même de défaire l'emballage. Un Mars, et ça repart !

Il commence à entamer sa barre tout en marchant, savourant l'overdose du sucre qui s'y trouve. Ses pas l'amènent rapidement devant la porte de la bibliothèque, dont il franchit le seuil. La bibliothécaire n'est pas à son bureau, comme la plupart du temps. Vu que peu de résidents lisent, elle n'a pas grand chose à faire et doit sûrement s'amuser à sa manière - vous savez de quoi je parle - avec un autre membre du personnel. Décidément, on entre dans cette bibliothèque comme dans un moulin. Le junkie hausse les épaules, et se dirige vers le rayon comportant la lettre 'S'.

*Et si je prenais du Shakespeare cette fois...?*

Mais plus il s'approche, plus il lui semble qu'il n'est pas seul ici. Il entend des voix, des soupirs, provenant du rayon qu'il convoite. Alors qu'il se prépare à y pénétrer, quelqu'un en sort et le bouscule par un coup d'épaule. Le junkie s'écarte, étonné, et regarde de qui il s'agit ; un résident qu'il ne croit pas connaître, en train de boucler sa ceinture. L'inconnu lui offre un sourire malicieux et continue son chemin sans un mot. Evidemment, Nathanaël devine ce qui vient de se produire dans le rayon des 'S'. Mais il doit reposer son livre et en prendre un autre pour ce soir, donc tant pis. Et ça sera l'occasion de satisfaire sa curiosité.

Le Mars à la bouche, il s'engouffre donc le rayon, y découvrant bouquins, cul-de-sac au bout, avec...

...Quelqu'un qu'il connait.

La curiosité est un vilain défaut, mais c'est aussi une habitude, une sale habitude dont il n'arrive pas à se défaire. Regarde donc. Dans l'entrebâillement de la porte, ou à travers le verrou. Ou dans le rayon 'S'. Peu importe ce que t'y vois, l'important c'est de savoir ; tu assumeras bien après. Il est toujours facile de se dire ça, surtout que y'a une bonne excuse, cette fois ; un livre attend de reprendre sa place. Et c'est l'occasion de lui en vouloir. Pourquoi, pourquoi donc, sur tous les résidents vivant ici, sur toute les pièces de l'institut, quel était le pourcentage de chances pour qu'il se retrouve nez à nez avec...

...Cette personne qu'il aurait préféré ne jamais recroiser.

Dire qu'il avait même fait des efforts pour l'éviter, ce type. Pas parce qu'il le déteste ou quelque chose du genre. C'est juste qu'il s'en méfie. Il en connaît des dérangés, il a eu l'occasion d'en voir de beaux ces dernières années. Mais lui, dans le genre, c'est un cas qui mérite que ce cher Sigmund Freud se penche dessus - quoique non, la pauvre bête pourrait prendre peur. Il ne le pense pas dangereux, mais quelque chose le dérange chez lui. À vrai dire, il en a peur, même s'il ne serait pas trop dire pourquoi. Mais tout dans sa façon d'agir lui hérisse l'échine. C'est très bizarre. Mais il y a encore plus dérangeant.

Il a envie de lui. Terriblement. Quelqu'un ayant autant de pouvoir sur lui est forcément détestable.

Et cette attirance inexpliquée l'effraie aussi. La dernière fois, il a réussit résister, mais il sait que ça ne tenait qu'à un fil. Le junkie est cruellement faible de ce côté là ; totalement soumit aux pulsions de son corps. Même si sa tête craint Jeremiah. Voilà donc pourquoi il reste totalement incrédule face au spectacle qui lui est offert. Son dangereux fantasme, torse nu, le pantalon à peine remit. Il en rêvait la nuit, mais là il voit ça pour de vrai ; qu'est ce qu'ils ont foutu dans ce Mars pour lui donner des hallucination pareilles ?

Non, il ne rêve pas. Il ne peut donc que tomber des nues, ce qui doit donner un tableau bien comique. Le Mars à la bouche, le bouquin sous le bras. Bonjour, c'est pour un emprunt ou un retour ?

Retour sur terre.

Il ne veut pas avoir à faire à lui. Il ne veut pas le toucher. Ni même lui parler. Il hante déjà assez ses nuits comme ça, alors comment l'ôter de son esprit si en plus il le croise dans la réalité. C'est chiant. Bon du calme, il ne se passera sans doute...Peut-être rien. Nathanaël fait de son mieux pour aborder un air normal, refoulant son désir et son dégout. À sa délicate salutation, il se contente de répondre d'un air neutre après avoir avalé le bout de Mars qu'il avait dans la bouche :

"Non désolé, j'viens pour les livres. Et je suis fauché de toute façon."

Ce qui est la stricte vérité après tout. Aucune raison pour qu'il vienne ici se payer une bonne baise alors qu'il connait plein de monde qui seraient RA-VIS de lui en offrir une gratuitement - en soulignant qu'il est aussi un gigolo, donc en général c'est lui qu'on paye. Tandis que Jeremiah ramasse son t-shirt, l'irlandais en profite pour le dépasser. Sade, par son orthographe, est forcément en queue de rayon - sans vouloir faire de mauvais jeux de mots. Le voilà donc tout près du mur ; mais le rayon est petit. Et la personne qu'il évite de trop regarder n'est donc pas loin. Il regarde la couverture des livres pour savoir où ranger le sien, et finit par déposer le Marquis de Sade avec les oeuvres du même auteur. Nathanaël commence à peine à chercher autre chose à lire que Jeremiah lui fait une confidence plutôt amusante. Apparemment, lui aussi rêve de lui. Cette fois, le junkie le regarde, le sourcil levé. La coïncidence l'amuse intérieurement.

"Tiens donc. Et il se passait quoi dans ton rêve ?"

Il regrettera sans doute d'avoir entendu la réponse plus tard, mais une fois encore la curiosité dépasse la raison. Et à la classique question du 'comment tu vas', Nath' se contente de donner la réponse habituelle, en essayant d'oublier le fait qu'il est torse nu et suintant d'hormones.

"Ça va. Et toi ?"

Y'a pas plus simple pour n'inquiéter personne et pour éviter les questions. En réalité, il ne va pas mieux qu'hier, et ça ne s'arrangera pas demain. Emprisonné dans le même cercle vicieux depuis des années, on peut difficilement dire "génial, j'pète la forme, c'est l'éclate !". Ce n'est pas parce qu'il y est habitué qu'il supporte mieux la chose.

Autant la dernière fois, le junkie avait prit Jeremiah pour une sorte de prédateur passif. Du genre à attendre qu'on s'approche suffisamment de lui pour passer à l'offensive. Mais il s'est de toute évidence trompé, ce qui explique sa surprise. Pas une seule fois il n'avait imaginé être coincé de la sorte par un type comme lui. Peut-être agit-il ainsi parce qu'il sait qu'il ne l'aura pas autrement ; après tout, Nath' n'est peut-être pas très vif d'esprit, mais de là à se jeter dans la gueule du loup... Complètement désorienté, le junkie en lâche sa barre de chocolat, qui tombe au sol. Réaction normale, quand on sent brutalement le contact d'un corps chaud comme la braise contre son dos. Ardent parce qu'il sort d'une partie de baise et qu'il en veut encore. Et il ne perd pas de temps ; mais l'impatience n'en est que plus excitante. Malgré tout, ces douces mains qui le caressent le paralysent. De peur, mais pas seulement. C'est trop étrange, trop contradictoire. Arrête, tu me dégoûtes. Continue, j'adore ça. Tu me fais peur. Mais je te veux.

L'angoisse lui fait frissonner l'échine ; il n'est pas sûr de pouvoir rester de marbre. La preuve, il n'arrive même pas à arrêter les mains de Jeremiah. Nath' se surprend même à vouloir qu'il continue, qu'il le touche plus intimement encore. Ses doigts s'enfoncent dans sa paume. Il ne peut retenir un hoquet de plaisir, sortit bien trop vite de sa bouche. Tellement vite qu'il en est lui-même choqué, pourtant il est loin d'être prude. Non non, il ne veut pas ressentir ce désir. Ce mec a deux personnalités ; et l'autre là, Jeremy, qu'en penses t-il, lui ?

Ça sera un peu comme un viol, non?

L'idée le révulse profondément, mais cette fois, Jeremiah ne le laisse pas filer. Il lui murmure à l'oreille que dans ses rêves, il l'avait mangé. Cela a au moins le mérite de montrer ses intentions, qui étaient déjà plutôt flagrantes. Non, cette fois, le papillon aura du mal à éviter la toile d'araignée, beaucoup de mal.

"Lâche-m..."

Pas le temps de finir sa phrase. Jeremiah recule, et l'entraîne dans son sillage. Le voilà enfin face à lui, son corps contre le sien, et tout son être se révolte contre les sensations qu'il éprouve alors ; et qu'il ne veut pas éprouver. Son excitation essaye de maintenir la tête hors de l'eau, tandis que lui-même essaye de l'enfoncer. Et c'est dur. Inconsciemment, il la laisse un peu gagner du terrain. Elle s'introduit dans ses veines comme un poison, et consume tout sur son passage. Son bon-sens ne tient plus qu'à un fil, que Jeremiah s'empresse de trancher d'un regard. Un regard qui en dit long, et qui le laisse pantois.

Nathanaël ne comprend pas. Pourquoi fait-il tout ça, dans quel but ? Il est quoi pour lui ? Le dessert après le plat de résistance ? Un trophée ? Une gourmandise irrésistible ? Qu'est ce que ça lui apportera, de se faire un junkie qui ne le paiera même pas ? Cette logique lui échappe. Mais après tout...Pourquoi pas ?

Qu'est ce qui empêche l'irlandais de céder ? Impossible de s'en rappeler. Tout s'est comme effacé, disparu, dans mes méandres de son esprit malade. Jeremiah s'appuie contre l'étagère. Jeremiah le tient. Dans le creux de sa main. Le mignon petit pantin. Tu es ma plus belle cicatrice, et je suis ta poupée de bal d'étudiant.

Il lui murmure quelque chose, qu'il n'entend que d'une oreille. Trop fasciné par le jeu, il se ferme peu à peu, pour se concentrer sur une seule et unique chose. Sur ce qu'il va faire de Jeremiah. Les possibilités sont nombreuses, et ses hésitations moins imposante. Je veux. Je ne veux pas. Je...Je veux.

Je TE veux. Cette fois, tu gagnes, Jeremiah. JUSTE cette fois. Le papillon s'empêtre dans la toile, et cesse de se débattre. Ses mains se déposent lentement sur l'étagère, des deux côtés de son...Coup d'un soir on va dire. C'est à se demander lequel domine l'autre. Alors voyons. Comment procéder ?

Le junkie se penche vers lui, lentement. Découvrant avec envie l'odeur de la friandise qui lui est offerte, et qui est mêlée à celle du gars qui vient de partir. Ça serait comme le faire à trois. Sa main droite lâche prise, et effleure la clavicule de Jeremiah. Ses yeux se lèvent pour croiser les siens. Je vais te donner ce que tu veux, alors savoure, très cher. Let’s try hell, it might be right.

"Tu es un monstre." déclare t-il.

Un monstre monstrueusement attirant, qui ne sera repu qu'après l'avoir dévoré. Et la proie cède enfin, fatiguée de lutter. Son doigt glisse, effleure son torse nu, son ventre, son nombril. Jusqu'à être stoppé par un arrogant boxer. Il pourrait faire ça lentement, le faire languir un peu plus. Mais non, pas le temps. Trop peu de temps ; et de toute façon, le junkie n'en a pas besoin de plus. Jeremiah s'est fait prendre par un autre il y a à peine deux minutes, il est encore chaud, et prêt à l'emploi si on peut dire - et lui aussi. Pourquoi attendre ? L'autre ne demande que ça. Le regard toujours plongé dans le sien, il lui baisse alors le pantalon et le sous-vêtement. Même pas jusqu'au bout : à peine à mi-cuisse. Cela suffira amplement pour ce qu'ils vont faire. Nath' déboutonne ensuite son propre jean qui commençait sérieusement à devenir trop serré, ouvre sa braguette, avant de s'introduire entre les jambes de Jeremiah. Tout se fait dans la précipitation, car ils peuvent être surpris n'importe quand. Mais cela rend l'instant encore plus précieux.

Ses mains s'attardent un peu sur sa taille et ses fesses...Avant de le pénétrer avec un coup de hanches, sans douceur ni précautions, juste dans le feu de l'instant. Et il ne le quitte pas des yeux. Il veut voir sa réaction ; peut-être qu'alors il le comprendra mieux. Ou pas. Un deuxième coup survient, plus fort et plus intense que le premier. Son coeur bondit à l'unisson, et brûle le sens dans ses veines, tandis que ses doigts s'enfoncent dans le bois de l'étagère sur laquelle il prend appui.

Je te sens, Jeremiah. Et j'espère que toi aussi.

Chaque mouvement de hanche est comme un aller simple au Paradis. Ce mec est beau. Trop beau. Et il le possède enfin ; son délicieux péché. Ce n'est que, certes, un fantasme parmi d'autres, mais c'est qu'il se faisait de plus en plus envahissant dans ses pensées ces derniers temps. Une obsession ravivée à chaque fois qu'il apercevait Jeremiah. Oui, c'est malsain. Oui, ce n'est pas conventionnel. Oui, ce n'est pas le lieu approprié. Mais qu'importe ? Au moins, il arrêtera peut-être d'occuper ses pensées. Espérons-le...Ou ça pourrait vraiment devenir problématique.

En tout cas, pour l'instant, l'irlandais profite allègrement de la gourmandise qui lui est offerte. Un plaisir à l'état pur qui monte, qui monte, qui semble ne pas avoir de fin. Alors Nath' passe à la vitesse supérieur, et obéit à cette voix dont il saisit pourtant à peine le sens. Les mains crispées du junkie se décrochent du bois, l'enlacent, parcourent avec envie le corps du jeune homme. Fébrilement. Comme quelqu'un en manque de sa drogue. Et, dans un élan de force brute, il le prend par derrière les genoux et le soulève hors du sol, le planquant encore plus fort sur l'étagère qui, heureusement, est appuyée contre un mur. Les coups de bassins se font plus rapides, plus fort, et quelques livres victime de leurs ébats tombent avec fracas. Mais c'est pas important. Plus rien n'a d'importance, si ce n'est eux.

Les caresses.
Les soupirs.
Et cette jouissance qui n'en finit pas.

Il le serre encore plus fort contre lui et, entre deux gémissements étouffés, lui embrasse le cou, dérive un peu sur la clavicule, passe sa langue sur sa pomme d'adam. L'irlandais savoure chaque parcelle de peau, s'imprègne de son odeur. Et le touche, l'explore. Toujours plus.

Et Jeremiah qui le somme d'aller plus vite. Avec une délicieuse douleur qui lui envahit l'épaule. C'est rapide, presque sauvage.

Comme des animaux.

Jeremiah joue bien le jeu en tout cas. Nathanaël ignore si toute ces manifestations de plaisirs sont simulées, et à vrai dire il s'en fiche un peu. Ce n'est que de la baise, entre deux étagères de bibliothèque. L'autre n'avait qu'à pas le chauffer comme ça. En attendant, le junkie en profite, tout en essayant d'étouffer ses gémissements. De plus en plus vite.

Jusqu'à ce qu'il se lâche enfin, dans un orgasme démesuré. Par on ne sait quel effort, il ne lâche aucun cri, juste un son étouffé. Trois ou quatre secondes se passent dans le silence, puis Nathanaël, en sueur, se détache un peu de lui, puis se retire. Son coeur continue de battre comme un dément dans sa poitrine, et sa respiration ne se calme toujours pas. Son regard vitreux croise celui de Jeremiah. Une fois de plus, il ne parvient pas à deviner ce qu'il pense. Tant pis. Son doigt suit la ligne de la mâchoire du garçon et, du pouce, il essuie le sang qu'il a au coin de la bouche.

"Finalement, tu m'as bel et bien mangé." constate t-il simplement.

Car, outre sa blessure superficielle à l'épaule, l'irlandais a l'impression de s'être fait mordre par une vipère. C'est peut-être une mauvaise chose mais...Sur l'instant, il ne regrette rien. Absolument rien.

Franchement, c'est à n'y rien comprendre. D'ailleurs, Nathanaël ne comprend rien, mais absolument rien. Depuis le début en plus. Ça aurait pu le rebuter, mais trop tard. Donc le revoilà en face de la réalité, une nouvelle fois, celle où il est forcé d'avouer que Jeremiah est pour lui une équation à plusieurs inconnues. Quelqu'un dont les réactions lui échappent totalement, c'est à se demander s'il est vraiment normal dans sa tête. 'Faut croire que non. Mais quand même, depuis quand dit-on "t'aurais pas du faire ça" après ce qu'il venait de se passer ?

Il n'aurait pas du quoi ? Se le faire ? Honnêtement, à quoi s'attendait Jeremiah ?
À ce qu'il lui offre des fleurs et lui dise merci ?
À que ça se passe autrement, ailleurs ?
Ou tout simplement, il s'attendait juste à ce que ce soit mieux ?

Ouai mais non, y'avait rien de tel précisé dans le contrat ; si ça ne lui a pas plu, tant pis. Et même en dehors de ça. Jeremiah vient le chauffer comme un paon en rut et lui reproche d'avoir céder après. Il le prendrait pas un peu pour un c** là ? Et cet air si nonchalant. Oh que oui il se fait tard. Et Nath' ne l'a comprit que...Trop tard.

Le junkie se remet droit, s'éloignant définitivement de lui ; et regarde ailleurs, comme blasé. Ses lèvres esquissent un sourire ironique, et il pouffe même un peu dans la continuité de son humeur sarcastique. Car là, il y a bel et bien de quoi rire. C'est pas tout les jours qu'on voit un tel exemple qui illustre parfaitement l'expression "c'est l'hôpital qui se fout de la charité". D'ailleurs, il n'en revient pas. Et c'est pour ça qu'il en rit.

Sans précipitation, il remballe le tout, remonte sa braguette. L'érotisme qui était encore bien présent quelques secondes auparavant semble n'avoir jamais existé. L'irlandais tourne le dos à Jeremiah et contemple les livres gisant au sol. C'est exactement ça. Une fois qu'ils seront rangés, ça sera comme s'il ne s'était rien passé. Et c'est là qu'on peut trouver un avantage de ne rien attendre de personne. Car Nathanaël n'attend rien de Jeremiah ; il serait partit après leur coup sans rien dire, ça ne l'aurait pas dérangé. Mais là, ce qu'il venait de lui sortir, c'était quand même sacrément culotté.

Si seulement il avait su ce que Jeremy voulait vraiment lui dire. Mais il ne peut pas savoir.

"Tu manques pas d'air toi. Parce que t'y es pour rien peut-être, dans tout ça ?"

Son ton n'a rien d'agressif ; il y traine juste un peu de mépris pour quelqu'un qui semble fuir ses responsabilités, même si dans le genre il n'est pas non plus un exemple à suivre. C'est vrai quoi, m*rde. 'Faut pas rejeter toute la faute sur lui. Il se penche pour ramasser quelques livres, et son regard se pose sur leurs couvertures qu'il ne lit pas vraiment. C'est juste pour éviter les yeux de Jeremiah, dont l'expression lui file entre les doigts. Au final, il ne sait toujours pas ce qu'il attend de lui.

Tant pis. Cela reste un coup rapide entre deux étagères d'une bibliothèque après tout. Rien de plus, rien de moins. Et personne n'en saura rien. Il vaudrait mieux d'ailleurs, car si Aby apprenait ce qu'il venait de faire, elle le frapperait sans doutes. Peut-être même que ça la ferait pleurer. Il préfèrerait qu'elle le frappe. Soupir. Peut-être qu'en effet, il venait de faire une bêtise.

"Tu veux dire quoi par 't'aurais pas du'?" hasarde t-il en continuant de ramasser les livres tombés.

Toujours sans le regarder.

Une fois de plus, le petit naïf se laisse marcher dessus ; il a dû être un tapis dans une autre vie. Un tapis qui n'avait rien de persan. Et alors ? Pour lui, tout cela n'est qu'un jeu. Et des ordre comme 'la ferme', ça lui passe par dessus la tête. Il n'en faut d'ailleurs pas plus pour l'encourager à l'ouvrir davantage ; c'est si exaltant de désobéir ! L'irlandais se redresse, avec déjà en tête une réplique bien salace - il vient de le baiser après tout.

Mais on a beau le prendre souvent pour un c**, il est plus lucide qu'il n'y paraît...C'est juste qu'il ne regarde pas toujours au bon endroit. Mais là il regarde. Et voit. Un chien enragé. Une jolie poupée qui se révèle être désarticulée. C'est à ce moment là qu'il se rappelle de Jeremy...C'est donc ça, sa laideur cachée ? Jeremiah serait-il pire que ce qu'il avait imaginé ?

Instinctivement, le junkie recule légèrement. Tiraillé entre la consternation et le dégoût...Il a l'impression d'avoir profité du système, d'avoir violé quelqu'un ; et n'aime pas ça du tout. Puis il se surprend à plaindre Jeremy, prisonnier de cette chose abjecte. C'est vrai, Jeremiah est bandant, sensuel, intrigant. Mais ça reste un monstre. Une chose. Un parasite. Et il est dangereux - pas seulement pour lui.

Le junkie regrette de s'être fait avoir par les artifices de Jeremiah. À la réflexion, ça ne valait pas le prix qu'il avait payé. Enfin il croit. Peut-être. Nath' chasse ses pensées parasites et continue de ramasser les livres pour masquer sa tension. Chaque mot que Jeremiah prononce ne fait que renforcer sa méfiance envers lui...Et l'envie de lui retourner la balle le démange sérieusement.

...Et puis pourquoi pas après tout ?

Au risque de prendre cher, il est temps d'apprendre à cet alter les bonnes manières. Il se relève à nouveau, avec son sourire retrouvé. En jubilant d'avance. Et s'approche de son prédateur avec un sourire charmeur. Le papillon effleure la toile d'araignée de ses ailes, sans y pénétrer...Et murmure à l'oreille du charognard.

"Ça m'a plu à moi aussi."

Jeremiah le sait, alors autant être honnête. Toujours souriant, il s'éloigne un peu de lui...Et lâche la petite pile de livres qu'il tenait dans ses bras sur les pieds de son interlocuteur. Oups.

Regard faussement désolé. Mais le message est clair.

"T'as eu ce que tu voulais. Donc ne t'approche plus de moi, compris ?"

Nathanaël ne menace jamais ; sa phrase sonne comme s'il chassait un enfant un peu chiant. Cependant, il est tout à fait sérieux. Son visage ne rit plus. Il a entrevu la vraie nature de Jeremiah...

Et ça ne lui a pas plu.