Ennui profond.

C'est ce que ressent le junkie, affalé sur le canapé du salon. La soirée commence bien, la nuit promet d'être pire encore. Ses doigts jouent avec son pendentif en forme de croix celtique, faute d'avoir mieux à faire. Son esprit s'égare, à la recherche d'une occupation quelconque. C'est plus important que ça en a l'air ; la déprime arrive assez vite quand il s'ennuie, cela demande une constante recherche d'activités. Pas évident parfois, dans un centre de jeunes délinquants. Et pour cause, ce soir là Aby et Kyllian sont introuvables, Lucy et Rose doivent traîner encore il-ne-sait-où...Et il n'a pas l'intention de fouiller toute les pièces de l'institut pour trouver un 'ami' à embêter.

L'angoisse commence à lui serrer un peu la gorge. Allez mec, trouve un truc à faire, n'importe quoi.

Il pourrait aller faire chier un inconnu - au risque de se prendre deux ou trois torgnoles. Ou faire des heures supplémentaire dans son 'boulot' - oui, je parle bien de faire le tapin. On n'a jamais assez d'héroïne de toute façon, même si encore une fois, pas sûr qu'il obtienne ce qui lui est dû. Et il n'y a pas beaucoup de clients honnêtes ici. Hum.

"Nathanaël ?"

L'irlandais jette un regard derrière lui. Un des surveillants...Qu'est ce qu'on lui veut encore ?

"Quoi?" demande t-il le plus innocemment du monde.
"Tu t'ennuies ?"
"Un peu."

Pourvu qu'il ne lui propose pas de faire des corvées. Au pire, il sera toujours temps de prendre la fuite. Mais le surveillant se contente de sourire.

"T'as été plutôt sage cette semaine. Donc si tu veux, je t'autorise à aller t'amuser à l'extérieur ce soir."

Nath' n'en croit pas ses oreilles. Un membre du personnel est sympa avec lui, mais dans quel monde vit-on ?

"Sérieux ?"

Le surveillant hoche la tête, et le junkie s'empresse de le remercier et de filer dehors, tout en ne pouvant s'empêcher de sourire : de toute évidence, il n'a pas découvert qui a versé du miel et du dentifrice dans son lit la veille. Tant mieux pour lui. Comme quoi ça a du bon parfois, les blagues anonymes.

Le voilà à l'extérieur. Bon maintenant, 'faut trouver où aller. Pas au cinéma, avec son constant manque de sommeil, il pourrait s'endormir devant. Un peu tard pour aller à la plage. La discothèque peut-être. Ça fait longtemps qu'il n'y est pas allé, donc why not, même si l'envie de s'amuser n'est pas vraiment au rendez-vous ce soir. Mais il n'a rien de mieux à faire, et en plus les premières boissons sont à la charge de l'institut. Autant en profiter. Il prend alors la direction de l'unique discothèque de la ville, une chance que ça ne soit pas très loin. En marchant, il savoure l'agréable sensation de ne plus être entouré d'adolescents mentalement perturbés - dont il fait partit. Cependant, il ne lui faut pas longtemps pour trouver le bâtiment, et y pénétrer.

Nous y sommes. Le voici dans le monde du psychédélique par excellence, un monde de lumières colorées, d'alcool et de sensualité. L'endroit résonne d'une musique affreuse, du genre "BO-BO-BOM" et rien d'autre. Du son techno dont il ne comprend pas le succès et qui lui fait vibrer l'estomac et les tympans.

Le junkie aux yeux vairons se dirige instinctivement vers le bar, se frayant un chemin parmi la foule de jeunes survoltés. Être petit et mince a ses avantages. Il prend une canette de bière et reste un moment avec, adossé au bar. L'envie de danser n'est pas très présente. Il regarde d'un air pensif tous ces corps qui se déhanchaient devant lui.

"Eh, mais c'est ma p'tite pute qui est là !"

Nath' se retourne, non pas parce qu'il est effectivement une pute, mais parce qu'il reconnait la voix. Et en sachant qui en est le propriétaire, ça s'adressait forcément à lui. Sebastian. 'Fait chier, lui qui comptait passer une soirée tranquille. Mais non. L'intrus le rejoint, et lui donne une violente claque dans l'épaule en guise de salut. Ce n'était peut-être pas volontaire, mais sachant que Sebastian mesure presque deux têtes de plus que lui et que Nath' a une faible carrure, ça fait mal. Grimace.

"Qu'est-ce que tu fais là ?"
"Je bosse." ment-il. Pour avoir la paix.
"Ah ben ça tombe bien. T'es libre là?"
"Non. Et je te rappelle que j'attends toujours que tu me payes pour la dernière fois."

Sa voix est neutre, afin que ça ne sonne pas comme un reproche. Il ne pense pas que Sebastian tienne parole, mais dans le doute, mieux vaut rester poli avec le client afin d'avoir une chance de voir sa paye un jour. Ça se passait souvent comme ça. "Tu veux bien me faire une avance mec?" ou "Désolé j'ai rien sur moi, mais je te l'apportes la prochaine fois". Hélas, dans la plupart des cas, il n'en voyait jamais la couleur. Et Nath', en tant que maigre tête à claque, ne peut forcer personne à payer.

Sebastian, avec un sourire en coin, semble enfin se rappeler de sa dette.

"Ah oui, tu as raison. C'est ça que tu veux ?"

Il sort de sa poche un petit sachet transparent, contenant la précieuse héroïne que Nath' convoite perpétuellement, et l'agite sous sous nez. Le junkie sait comment ça va finir, il n'est qu'un jouet pour Sebastian, mais n'a d'autre choix que de tenter de s'en saisir d'un coup rapide. Mais pas assez. L'enfoiré esquive sa main et exhibe la came, hors de sa portée.

"Laisse moi passer une demi heure avec toi, et je te la donne."

Nath' n'est pas aussi dupe qu'il en a l'air. C'est encore un coup à se faire baiser gratuitement ça. Aussi fait-il une dernière tentative :

"Ok ok, mais le paiement d'abord."

Mais de toute évidence, le colosse n'est pas prêt de lâcher son trésor, et ça le frustre de ne pouvoir obtenir ce qu'il veut dans l'instant ; l'irlandais l'a facilement deviné, mais c'est encore tout pour sa gueule. Agacé, Sebastian l'attrape par le col, puis il le balance violemment dans la foule, et le pauvre junkie vient percuter quelques personnes, dont un punk dansant avec une fille, avant de tomber le cul par terre. Sa bière s'est répandue un peu partout, notamment sur le couple. Oups, ça sent la raclée, et elle peut venir aussi bien de Sebastian ou du mec qu'il vient de déranger en pleine drague. Il tente un repli stratégique en s'enfuyant à quatre pattes, mais trop tard, son 'client' le relève de force en tirant à nouveau son col, l'étranglant à moitié au passage.

"J'te viole quand je veux, tapette, alors va te faire foutre !"

Spoiler:

Ça n'est pas dans ses habitudes d'être sauvé, du coup il se sent un peu inexpérimenté en la matière. Quel est le prix pour un passage à tabac évité ? Cela vaut-il plus qu'une boisson dans une discothèque ? Difficile de savoir, et pour l'instant le junkie ne sait pas comment le remercier davantage. Bah, mieux vaut ne pas s'en soucier pour l'instant ; cet homme n'a pas une tête à faire dans la dentelle. S'il veut autre chose, sans doute le saura t-il bien assez tôt. Au moins l'Irlandais n'est t-il pas avare en reconnaissance....De son point de vue.

En attendant, comme promis, il le laisse commander ce qu'il veut ; et remarque alors son fort accent russe qu'il n'avait pas remarqué plus tôt. C'est pas le premier russe qu'il croise ; mais à chaque fois, il se surprend à exprimer de l'intérêt sur cette puissante manière de s'exprimer. Leur anglais a toujours eu quelque chose de...Viril. Bizarre, mais viril. Et presque sans surprises, le russe se prend une vodka. Cela fait sourire Nathanaël qui, sans surprises non plus, se prend une bière. Irlandaise bien sûr. C'est pas à Teenagers qu'il a accès à des bières de qualité comme celle-ci. À sa connaissance, rien ne vaut une Guinness bien fraîche en terme d'alcool.

Sirotant doucement l'amertume de sa mousse, il cherche quoi dire pour lancer la conversation. Le punk, lui, préfère de toute évidence boire cul-sec, avec grand fracas. Le coup sur la table surprend quelque peu le junkie, qui a un léger sursaut. Il le fixe, quelque peu déconcerté, se demandant avec intérêt combien il pourrait en boire comme ça avant de tomber raide. Sans doute vient-il de trouver son maître en matière de picole. C'en est trop pour la nana d'à côté, qui se barre en courant.

Nathanaël éclate de rire à sa remarque.

"Pas étonnant ! Déjà que t'as réussi à effrayer l'autre boulet là..."

Bien sûr, ça sonne comme un compliment. Ce gars a un aspect et des manières un peu...Rustres. On devine clairement qu'il vaut mieux éviter de chercher des noises à ce type baraqué aux allures de punk, et recouvert de tatouages. Nath' le voit très bien en train de dégommer des têtes à coups de barre de fer. Naïvement, il se dit que ça doit être chouette de posséder un tel pouvoir de persuasion sur autrui.

Le junkie continue d'observer du coin de l'oeil son sauveur, et penche lentement sa tête sur le côté, les sourcils froncés. Maintenant qu'il y pense, il lui semble l'avoir déjà croisé. Bien sûr, un gars comme ça on s'en souvient forcément, mais l'héroïne c'est pas ce qu'il y a de mieux pour les neurones. Alors il fait travailler ses méninges. Oui, il l'a vu y'a pas très longtemps, donc il est sûrement un...

"Dis, tu serais pas à Teenagers ?"

Il l'a sûrement vu de loin, mais oui, il en est sûr maintenant. Il n'a même pas besoin d'attendre sa confirmation pour le savoir. Cette coïncidence l'amuse fortement, et ça se voit à son sourire presque niais.

"J'y suis aussi ! Je m'appelle Nathanaël."

Apparemment, le simple fait qu'ils soient logés à la même enseigne suffit pour qu'il lui donne son prénom, voir plus. Sisi.