Tout ne tient qu'à un fil. [PV Ethan M. Hawkins]

Sujet: Tout ne tient qu'à un fil. [PV Ethan M. Hawkins] Mer 24 Mar 2010 - 22:41

La lettre froissée au creux de son poing était maculée de cercles humide. Avec les dernières parcelles de raison qui lui restait, Elisabeth songea qu'elle devait sérieusement être masochiste pour continuer à se faire souffrir de cette manière. Mais elle n'y pouvait rien. Ce dernier témoignage que lui avait légué son frère était une des seules preuves de tout ce qu'ils avaient vécu – et de ce qu'elle avait continué à expérimenter quand Ethan avait laché prise. Elle avait « besoin » de ce simple morceau de papier qui lui confirmait que le choix qu'elle avait fait était le bon ; s'opposer à ses parents, faire tout son possible pour ne pas se laisser dominer et pour les rendre dingues, suffisamment dingues pour qu'elle puisse enfin les quitter sans culpabiliser, quand ils auraient compris qu'il n'y avait plus rien à faire, que leur fille était une « cause perdue ». Et elle y était parvenue. Elle avait accompli cette promesse qu'elle avait faite au cadavre de son frère. Elisabeth pouvait enfin passer à autre chose.

Mais dans ce cas, pourquoi ne se sentait-elle pas soulagée ? Pourquoi le manque de son frère se faisait-il davantage ressentir ? La jeune femme ne tirait aucune fierté de tout ce qui s'était passé jusqu'à présent. Tout ce qu'elle désirait, c'était qu'il revienne. Qu'il revienne. Et qu'elle puisse le serrer dans ses bras en lui jurant que tout irait mieux et qu'ils seraient toujours ensemble. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ?

Elisabeth serra un peu plus ses genoux contre son buste. Son dos appuyé contre le tronc d'un chêne s'arrondit un peu plus lorsqu'elle rentra la tête dans ses épaules et quelques mèches de ses cheveux d'ébène glissèrent sur le sol humide. La jeune femme poussa un profond soupir et après quelques secondes, releva son visage vers le papier usé par les nombreuses lectures et lut inutilement les mots qu'elle connaissait déjà par coeur.

Citation :: Lizzie,

Je suis désolé de te laisser toute seule et je sais que quand tu auras trouvé cette lettre, tu m'en voudras déjà énormément, mais je n'en peux plus. Je ne parviens plus à satisfaire leurs exigences ; quoi que je fasse, ce n'est jamais suffisant. Toi-même tu les connais et sais comment ils agissent.

Je ne suis pas aussi fort que toi, Lizzie, et tu ne seras pas toujours là pour me protéger, je le sais. Je sais également que tu me considéreras comme un lâche après avoir vu le geste que je m'apprête à accomplir, mais... comprends-moi, Lizzie. Je ne peux plus. Je ne veux plus continuer comme ça.

Je t'aime plus que tout au monde. Et tu es ce que je regretterai le plus après tout ça. Tu me manqueras. Enormément. Et là où je serai, il n'y aura pas un jour où je ne penserai pas à toi.

Merci pour tout ce que tu as fait. Tu es la plus merveilleuse des grandes soeurs.

Promets-moi de prendre soin de toi.

Je t'aime.

Ethan.

Des larmes brouillèrent l'écriture penchée, arrondie et travaillée. Elisabeth sentit une goutte d'eau salée rouler le long de sa joue. Le visage de son frère se superposait sur le ciel encore étoilé malgré la teinte rose qui prenait de plus en plus d'ampleur, comme si la brillance des étoiles n'avait jamais quitté ses yeux lorsqu'elle l'avait retrouvé, son corps se balançant au bout de la corde meutrière. Ses lèvres laissèrent échapper un sanglot, suivi d'un mot, unique, empli de tristesse, de remords et de regrets.

« Ethan... »

Et c'est cette plainte murmurée qui l'empêcha d'entendre les pas de la personne qui s'arrêta juste derrière elle.

Le matin. C'était déjà le matin et le garçon était encore fatigué. Il avait eu du mal à dormir. Enfin, il n'avait presque pas fermé l'œil de la nuit. La seule chose à laquelle il pensait depuis le lever du soleil était qu'il voulait retourner se coucher. Il faut dire qu'il était responsable de son manque de sommeil. Ben oui, monsieur avait commencé à lire la veille au soir et il était incapable de laisser son livre pour dormir. Tant d'intrigue à la fin de chaque chapitre, tant de passion entre les personnages de l'ouvrage firent qu'il ne voulait pas lâcher ce qu'il lisait. M'enfin, tant que cela n'arrivait pas tous les soirs, il n'avait rien à craindre ! Ceci dit, si c'est pour se retrouver avec du sommeil en retard et des cernes immenses, ce n'était pas la peine qu'il fouine s'il trouvait un quelconque livre. C'était une chose qu'il n'aimait pas trop, avoir des cernes. On lui avait toujours répété qu'afficher le fait qu'on ne dormait pas assez était mauvais, que ça ne collait pas à l'image que certaines personnes lui donnaient. L'étiquette, toujours l'étiquette ! Bonjour l'éducation qu'il avait reçue.

Le garçon avait décidé que pour mieux se réveiller, il allait profiter de la fraîcheur du matin. Il sortit donc du bâtiment et flâna aux alentours. Deux choix s'offraient à lui : Il restait dehors pour essayer de dormir un peu tout en profitant de l'air extérieur ou alors il allait trouver un coin tranquille pour dessiner un peu. Cela faisait longtemps qu'il avait gribouiller tout ce qui lui passait par la tête, tout ce qu'il voyait. C'était l'occasion ! De plus, c'était l'une des première fois qu'il se baladait sans sont iPod. La première fois depuis qu'il était arrivé ici qu'il n'allait pas l'avoir sur lui. Même si Ethan aimait bien dessiner avec de la musique en fond, il allait ne pas s'en servir. allez savoir pourquoi. Sans doute encore un de ses caprices de petit prince.

Ce dernier marchait sans savoir où il allait. C'est alors que sans savoir, il se retrouva sous un grand arbre. Un chêne ? Un châtaigner ? Allez savoir. Après tout il s'en fichait et le garçon n'était pas un spécialiste pour ce qui était plantes, fleurs et tout ce qui va avec. Il avait autre chose à faire que d'apprendre toutes les variétés de roses ou autre enfant de mère nature ! Pour lui, une fleur était une fleur et un arbre, un arbre. Peu lui importait de savoir ce que c'était en particulier.

Il s'assit donc par terre, sur l'herbe encore humide. La rosée du matin était encore là et l'odeur du sol mouillé était agréable pour Ethan. Remontant les manches de sa chemise, qui révélèrent ses tatouages, et prenant son crayon, le garçon commença à gribouiller. Il avait à peine le temps de faire l'esquisse d'un visage qu'il entendit son nom. A cet appel, il releva la tête et regarda autour de lui : Personne. Était-ce son imagination ou quelqu'un l'avait bien appelé ? La voix qu'il avait cru entendre lui était familière. Comme s'il l'avait déjà entendu quelque part, mais où ? Ça ne devait pas être important étant donné qu'il ne s'en souvenait pas. Quoi que...

Le garçon se pencha de nouveau sur son carnet de dessins avant d'être de nouveau interrompu. Ce n'était plus une voix mais des sanglots, ou du moins quelque chose s'en approchant. Regardant une nouvelle fois autour de lui, il finit par s'apercevoir que cela venait de l'autre côté de l'arbre. Au final, quelqu'un était là ? Et si c'était cette personne qui l'avait appelé ? Le petit prince se releva et se dirigea vers la personne qui était présente. Enfin, il fit deux pas quoi. Il faut être réaliste, il fait pas 30 mètres de largeur ce chêne !

Ethan aperçu une jeune fille, qui à première vue, semblait être l'auteur des sanglots. Était-elle également celle qui avait prononcé son nom ? Cette question ne fit que traverser l'esprit du garçon. Après tout, quelqu'un pleurait et sous ses yeux et qui plus est, une demoiselle et Dieu sait que son éducation l'obligeait à aider la jeune fille à aller mieux ? Ne plus pleurer ? Allez savoir, même Ethan n'avait pas compris cette partie.

Le petit prince s'accroupit à côté de la jeune fille tout en posant son crayon et son carnet sur l'herbe. Pour ne pas vous le cacher, c'est lorsque ces dernier touchèrent le sol que la demoiselle sursauta et c'est à cet instant qu'Ethan pu voir son visage de face, son visage baigné par les larmes. Le garçon tendit machinalement sa main vers le minois de la demoiselle. Il toucha délicatement sa joue pour essuyer avec son pouce les gouttes salées qui tombaient sur les joues de la jeune fille. A ce geste Ethan esquissa un sourire, comme s'il compatissait ou s'il voulait qu'elle aille mieux. Allez savoir, même lui n'en savait rien.

C'est alors que s'apercevant de son geste, il recula d'un coup, cessant tout contact physique avec la personne en face de lui. Il était gêné de ce qu'il venait de faire, ce qui eut comme conséquence qu'Ethan se mit à rougir. Non pas trop pour que l'on voit sa gêne, mais assez pour s'apercevoir qu'il avait tout de même un peu honte.

" Dé... Désolé. Je ne voulais pas. C'est à cause de mon éducation... Enfin, c'est vrai que ça ne justifie pas mon geste ma... OH ET PUIS ZUT !"

Ah ! Voilà que le petit prince s'énerve. Il en avait marre de s'excuser et de toute mettre sur le dos de la façon dont il avait été élevé. Il fallait qu'il fasse des efforts pour oublier toutes ses bonnes -ou presque- manières. Ceci dit, il regarda tout de même la demoiselle. Le visage d'Ethan était encore un peu rouge mais cela se calmait au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.

Le jeune homme qui lui faisait face semblait extrêmement contrarié du geste qu'il venait d'avoir envers elle. Bien qu'il l'eût surprise au premier abord, Elisabeth se sentait cependant apaisée par la douceur qu'il avait exprimée à son égard ; apparemment, certaines personnes n'étaient pas des brutes dans cet établissement et savaient même faire preuve de distinction. Et même si ce n'était pas vraiment le moment de relever ce genre de choses, cela fit plaisir à la jeune femme. Se rendant compte de la situation dans laquelle elle se trouvait, elle essuya rapidement les quelques larmes qui avaient rendu ses joues humides et ses yeux un peu plus rouges - mieux valait éviter de paraître faible dans cet endroit - et laissa sa voix, légèrement tremblante à cause de l'émotion, s'élever :

« Vous... (puis remarquant qu'il était plus jeune qu'elle et se rappelant des conseils d'Eden : ) Tu n'as pas à t'excuser. Je ne t'en veux pas. Sincèrement. »

Elle lui adressa un petit sourire forcé et détourna le regard le temps de plier précautionneusement la lettre de son frère avant de la placer dans la poche droite de son pantalon. Son visage se releva ensuite vers le nouveau venu qui paraissait toujours aussi soucieux. Elisabeth l'observa pendant quelques secondes, prenant le temps de le détailler : un teint pâle, des cheveux d'ébène et les yeux assortis, quelques piercings par-ci, par-là et des tatouages sur les bras. Un corps un rien plus maigre que la moyenne, peut-être un peu plus faible, mais également une grande présence d'esprit et une force dans le regard qui laissaient clairement deviner une personnalité affirmée. Quoique tourmentée. Du talent également, de par ce qu'elle avait pu voir sur le carnet durant un instant. De plus, ses habits démontraient qu'il n'était pas issu du type de milieux que ses parents aimaient qualifier « d'inférieurs » ; les coutures soignées témoignaient que les vêtements avaient sans doute été faits sur mesure, pour quelqu'un qui aimait le travail bien fait.

Mais elle l'avait suffisamment dévisagé comme cela et préférait ne pas augmenter son trouble. La jeune femme se releva, après avoir récupéré le carnet de croquis et le crayon du jeune inconnu et les lui tendit avec un nouveau sourire, plus apaisé cette fois. D'une certaine manière, elle était plutôt reconnaissante vis-à-vis de l'intervention du jeune homme ; bien qu'elle ait été un peu téméraire, cela lui avait permis de redresser la tête et d'éviter de se morfondre une nouvelle fois. Après tout, le soleil se levait à peine et mieux valait commencer une journée du bon pied pour se changer les idées. Balayant les dernières images de son frère, tantôt souriant, tantôt le regard vide, la bouche à demi-ouverte, elle inspira profondément avant de poursuivre :

« Je m'appelle Elisabeth Allen. Je t'avoue que je ne m'attendais pas à voir quelqu'un d'aussi bonne heure, mais ta présence ne me dérange pas. Quel est ton nom ? »

Oh, il n'avait pas à s'excuser ? Bof, tant mieux. C'était sans doute favorable au petit prince. Cela l'arrangeait à vrai dire, même si les mots étaient déjà prononcés. Ceci dit, le garçon se demandait comment la jeune fille pouvait lui pardonner son geste. Après tout, n'était-il pas celui qui venait s'immiscer dans ses affaires ? N'était-il pas celui qui, à peine après l'avoir vue, lui a séché ses larmes ? Il y avait quelque chose qui clochait, qui aux yeux du petit prince, semblait suspect, étrange. Pourquoi ne pas lui en vouloir alors qu'il se mêlait sans doute de quelque chose qui ne le concernait pas ? La jeune fille semblait vraiment étrange à ses yeux. Étrange, mais fascinante. Cela allait être une partie de plaisir que de discuter avec elle, que de passer un peu de temps en sa compagnie. Enfin, c'est ce qu'espérait Ethan.

Il regardait ses moindres faits et gestes comme un enfant qui inspectait les moindres détails de son nouveau jouet, comme un acheteur qui visite pour la première fois sa nouvelle maison dans les moindres recoins. Oui, on pouvait le comparer à cela. Le petit prince fixait la jeune fille sans relâche, il ne laissait aucun détail s'échapper, jusqu'à ce qu'elle mette un papier dans la poche de son pantalon. Papier que la jeune fille tenait dans la main, qu'elle lisait, peu de temps avant. Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir de marqué sur cette feuille ? N'importe quelle personne aurait envie de le savoir, non ? Ethan s'en soucia quelques secondes avant de laisser cette affaire de côté. Après tout cela ne le regardait pas, même s'il avait envie, besoin même, de satisfaire sa curiosité.

Ceci mis à part, la jeune fille semblait dévisager le garçon. Elle le fixait et il fit pareil. Pendant quelques minutes il étaient là, l'un en face de l'autre à se regarder, se détailler... Et c'est là qu'Ethan se rendit compte qu'il semblait faire un peu ridicule auprès de la demoiselle.

Ben oui, après tout elle semblait mieux que lui. Entendez bien par là qu'elle ne semblait pas faire parti d'un rang supérieur, non non ! Mais question vestimentaire la jeune fille faisait plus "classe" que le garçon.

Regardez donc Ethan : Un jeune homme de bonne famille et qui fait penser le contraire avec son jean déchiré, ses baskets usées par le temps, son t-shirt un peu vulgaire, ses cheveux en bataille, ses multiples piercings et ses tatouages. Ce qui pourrait peut-être faire remonter le niveau serait sa chemise impeccablement repassée et les bonnes manières qu'on lui avait inculquées.
Et à côté il y avait la demoiselle : Elle semblait grande, fine. Ajoutez à cela de longs cheveux noirs et des yeux d'un bleu captivant, impressionnants. La façon dont elle avait d'être semblait souligner son appartenance à la haute société : Un pantalon coupé parfaitement, une chemise n'ayant aucun faux pli... Ajoutez à cela une belle poitrine et d'autres belles courbes, qui apparaissaient nettement sous ses vêtements, pouvant faire envie quelques personnes, pouvant faire fantasmer certains, voire plusieurs, hommes.
Maintenant comparez ces deux personnes... Les gens ne feront peut-être pas de distinction mais Ethan la fait. Pour lui, il fait misérable par rapport à la jeune fille. Oui, misérable. Ce sentiment d'infériorité le gênait un peu. Le sentiment d’être en dessous des autres, d’être à leur merci, était une chose détestable. De plus le petit prince avait vraiment la sensation de faire tâche à côté de la demoiselle, de lui faire honte. Allez savoir pourquoi il était comme ça. A croire que depuis qu’il était arrivé ici il n’était plus le même… Bof, laissons cela de côté.

Bref ! Ethan fut tiré de ses songes par la demoiselle. La voilà qui lui tendait son carnet de dessins et son crayon. A la présentation de ces derniers, le garçon les accepta en souriant pour la remercier. Lorsque cette dernière prononça de nouveau quelques mots, Ethan approuva intérieurement ses dires et son sourire s’agrandit à l’entente du nom de la demoiselle.

" Oui, c’est vrai que ça doit être rare de voir quelqu’un aussi tôt. Je suppose que les gens ici sont plutôt du genre à se lever tard, tu ne crois pas ? "

A sa question, le petit prince repris son carnet et son crayon puis il se mit à dessiner à nouveau. La vulgaire esquisse d’un visage se transforma petit à petit au point où l’on pouvait savoir si ce visage était masculin ou féminin. Puis, d’un coup, Ethan releva la tête de son carnet pour regarder Elisabeth.

" Ah, je manque à tous mes devoirs. Ravi de te rencontrer Miss Elisabeth. Je me nomme Hawkins. Ethan Hawkins. "

A ces mots le garçon sourit de nouveau puis baissa de nouveau la tête sur son croquis.

« Je crois que si. Ca ne m’étonnerait pas que nous soyons les seuls lève-tôt ici. »

Elle lui répondit d’une voix calme, posée, presque attendrie quand elle le vit récupérer son carnet pour à nouveau y tracer quelques coups de crayon, précisant davantage l’esquisse qu’il avait ébauchée au préalable. C’est quand il tourna la tête vers la feuille qu’elle continua, plus pour elle-même, à voix basse (« De toute manière, je n’arrive pas à dormir beaucoup en ce moment. ») avant de se concentrer sur les yeux noirs à présent braqués sur elle. C’était étrange ; à part ce regard, le jeune homme aurait pu lui être apparenté, voire même être un cousin proche ou un autre… frère. A part quelques traits caractéristiques de sa famille – comme la couleur envoutante de ses iris, partie intégrante de l’héritage des Allen – Elisabeth devait avouer que ce jeune homme lui ressemblait énormément. Et pas seulement au niveau physique ; il avait également une présence et un maintien qui imposaient le respect et témoignaient d’une certaine éducation – éducation qu’il avait d’ailleurs soulignée, mais sur un ton qui cachait comme un sentiment de honte et de rejet. C’était inhabituel ; en moins d’une minute, elle s’était sentie plus proche de ce jeune inconnu que de quiconque. Ils ne connaissaient encore rien l’un de l’autre (à part son évidente passion pour le dessin), mais quelque chose qu’elle ne pouvait définir le poussait indéniablement vers lui.

La jeune femme n’osait s’accroupir à hauteur du garçon ; elle n’avait pas envie de le gêner dans son « travail » de dessin. C’était comme lire par-dessus son épaule et elle aurait parfaitement pu comprendre sa réaction s’il lui avait lancé un regard lourd de reproches ; après tout, elle aussi n’appréciait pas que quelqu’un s’asseye à ses côtés ou l’observe avec insistance lorsqu’elle jouait du piano. Peut-être était-elle trop présomptueuse en pensant pouvoir interpréter les réactions de ce garçon, mais elle ne tenait pas à lui manquer d’irrespect en franchissant cette barrière invisible que caractérisait l’espace vital de chacun. De toute manière, ce qu’Elisabeth ne savait pas, c’est qu’elle n’aurait pas à réfléchir davantage au fait de le gêner ou non, car dans quelques secondes, elle ne serait plus réellement consciente de ce qui l’entourait. Viendrait la douleur. S’ensuivraient les remords, les questions, les « pourquoi ? », l’incompréhension. Tout ça à cause d’un simple mot. Ou plutôt d’un nom. Si elle avait su, sans doute n’aurait-elle pas choisi de faire cette promenade matinale ce matin-là.

« Je me nomme Hawkins. Ethan Hawkins. »

Le temps entra en suspens. Elle ne vit pas le jeune homme lui adresser un sourire avant de se rendre à nouveau tout à sa tâche. Elle n’entendait plus les glissements du crayon sur le papier, ou le vent qui agitait les feuilles de l’arbre sous lequel ils se trouvaient, elle debout, maintenant appuyée – ou plutôt soutenue – contre l’écorce du tronc, lui assis. Au début, Elisabeth se dit qu’elle avait du mal entendre ; après tout, elle venait de relire la lettre que son frère lui avait adressée, il était donc normal que son prénom et les souvenirs le concernant résonnent tout autour d’elle. Ou alors, la langue du jeune homme avait fourché ; ç’aurait tout aussi bien pu être Evan qu’il avait prononcé. Le son « th » anglais (en supposant que ce nom s’orthographiait de cette manière) étant proche du « v ». Mais dans ce cas, pourquoi était-elle persuadée d’avoir entendu un « t », même exception à la règle que ses parents avaient attribuée à leur fils, faisant fi de la prononciation de ce son « th », difficilement prononçable par les non anglophones ? Plus elle y songeait, plus il était clair et net que le prénom de ce garçon était exactement le même que celui de son défunt cadet. Et ça n’aurait pas du la toucher de cette manière ; ça n’aurait pas du lui faire autant de mal.

Elle vacilla sur ses jambes et une de ses mains se plaqua contre sa poitrine ; c’était comme si un glaive était venu percer l’intérieur de son sein et, une fois en place, tournait sur place afin d’agrandir la plaie qui lui paraissait déjà béante. Son regard accrocha celui du jeune homme, qui le lui retourna ; une lueur de curiosité pouvait se lire dans ses iris sombres, mais elle disparaissait au moment où il fixait à nouveau ses pupilles sur la feuille. Apparemment, il ne s’était pas encore rendu compte de l’état de choc dans lequel elle se trouvait ; ou peut-être que si, au fond, Elisabeth n’en savait rien et devait avouer qu’elle n’en avait que faire. La seule chose qui tournait dans sa tête était ce prénom si important et les yeux clairs de son frère qui se superposaient à ceux du jeune artiste. Mais c’était quoi cette douleur aigüe ? Il fallait qu’elle se reprenne. Après tout, ce n’était qu’un hasard qu’ils aient tous les deux le même prénom. Et puis, à y regarder de plus près, ils ne se ressemblaient pas tellement : certes il avait des cheveux noirs, mais la majorité de ses traits les différenciaient. Jamais Ethan n’aurait eu ce style vestimentaire ou ses tatouages – qui l’auraient sans doute rendu aussi séduisant que ce présent garçon. Ils étaient tous les deux minces, oui, mais le jeune homme qui lui faisait face était plus grand qu’Ethan, alors que son frère n’avait jamais réussi à atteindre sa taille. Du moins, jusqu’à ses quatorze ans. Peut-être que maintenant, il l’aurait dépassée, oui peut-être. Mais elle n’en savait rien non plus et ne saurait jamais. Ca grandissait à quelle vitesse à cet âge-là ? S’il avait eu le même nombre de centimètres que ce garçon, aurait-ce fait de lui quelqu’un de grand ou de petit ? Pourquoi ces détails lui semblaient-ils si importants à présent ?

Elisabeth suffoquait. Sa respiration se faisait de plus en plus difficile et l’épée dans sa poitrine était maintenant en feu. Elle murmura un petit « Aïe. » pitoyable avant de se retrouver à genoux, les bras croisés devant son buste, ses doigts enfoncés dans le tissu recouvrant ses épaules. Ses longs cheveux tombaient en cascade de part et d’autre de son visage et elle haletait sans vraiment s’en rendre compte. Ethan. Que serait-il devenu maintenant ? Il aurait eu quinze ans. Il aurait pu être heureux si elle avait eu le courage de faire face à ses parents avant qu’il ne commette l’acte qui avait tout changé. Il aurait pu être à la place de ce garçon, dans deux ou trois ans, en train de dessiner à ses côtés et de lui parler aussi simplement que cet inconnu l’avait fait. Il aurait pu. Si elle avait su, si elle avait vu plus tôt la souffrance qui s’était emparée de lui de longs mois auparavant. C’était son frère, et elle avait été incapable de faire quoi que ce soit. Elle aurait donné n’importe quoi pour le ramener et même prendre sa place, n’importe quoi. Ethan. Ethan…

« Ethan… »

Elle releva son visage vers celui du jeune homme qui s’était approché d’elle ; la panique et l’incompréhension pouvaient se lire dans son regard. Elle avait encore tout fait foirer, c’est ça ? Et maintenant, les larmes qui coulaient. Comme si ce n’était pas suffisant, comme si elle n’avait pas l’air assez perdu comme ça. Mais c’était trop douloureux, ça faisait trop mal pour qu’elle puisse le contenir ; on aurait pu croire que sa culpabilité débordait par les gouttes salées qui roulaient sur ses joues, en même temps que sa tristesse et le manque de son frère. Elle n’avait rien pu faire. Et si elle avait agi avant, avant tout ça, il aurait pu être à la place de ce garçon, aurait pu sourire tout comme lui, il y avait quelques secondes, bien qu’aucune trace de joie ne persistait sur son visage d’une pâleur de lune, à présent. Cette souffrance était insupportable.

Elisabeth se pencha en avant, jusqu’à ce que son front vienne toucher l’épaule d’Ethan. Cette détresse ne lui ressemblait pas ; elle n’avait pas l’habitude de se montrer dans un tel état de faiblesse et encore moins face à des quasi inconnus. Elle avait envie de disparaître.

« Pardonne-moi… »

Des larmes s’ajoutèrent aux précédentes. Il aurait pu être à sa place…

Le garçon avait son visage baissé vers son carnet, concentré sur son croquis. Tantôt relevant la tête pour observer attentivement son modèle. A chaque fois que ses yeux se détachaient de son dessin, ils allaient de planter sur le corps de la demoiselle. Et quand je dis le corps, c'est TOUT le corps. Il faut bien inspecter les moindres détails pour faire un dessin, non ?

Enfin ! Le fait est que le petit prince jonglait entre son croquis et son modèle, toujours concentré sur ce qu'il faisait. Les yeux sur son œuvre et il devenait sérieux, les yeux sur Elisabeth et il devenait curieux. C'est fou comment il pouvait changer d'expression comme cela. Peut-être bien que la demoiselle lui plaisait bien et qu'il la trouvait intéressante pour qu'on puisse lire de la curiosité sur son visage. Allez savoir ! Personne à cet instant ne pouvait le savoir, ni Ethan, ni le Seigneur.

Ah, parlons-en de lui ! Cela faisait un moment que le garçon de lui avait pas parlé. Il a sans doute du complètement l'oublier ou penser à autre chose que de s'apitoyer sur son sort en maudissant le Tout-Puissant de lui avoir permis de vivre et en l'accusant d'être le responsable de ses malheurs. Ceci dit, pour une fois, Ethan le remercia. Alors qu'il était toujours en train de jongler entre son croquis et son modèle, le garçon remercia intérieurement le Créateur de lui avoir permis de se lever à cette heure et d'avoir fait la connaissance d'Elisabeth. Un peu de compagnie ne pouvait pas lui faire de mal, charmante qui plus est. C'est donc pendant quelques instants qu'Ethan remercia le Seigneur. Quelques instants, car ses gestes, ses pensées allaient changer d'un moment à l'autre. Qui aurait pu deviner que l'innocence des gestes, des mots des deux jeunes gens allait être chamboulée à cause d'un simple mot ?

Toujours en train de faire des aller-retour entre la demoiselle sur papier et celle qui était en chair et en os devant lui, Ethan regardait cette dernière, toujours avec cette lueur de curiosité dans les yeux, lorsqu'elle plaqua sa main sur sa poitrine. Il ne savait pas ce qu'il lui arrivait et il fallait avouer qu'à cet instant il ne s'en souciait pas du tout. Il avait enfin l'occasion de dessiner, d'avoir un vrai modèle ce qui fait qu'Ethan était plus concentré sur son ouvrage qu'autre chose. Jusqu'à ce que la demoiselle lui retire sa concentration.

En effet, c'est en voulant jeter de nouveau un coup d'œil vers elle que le petit prince la vit à genoux. Elle était là. La jeune fille qu'il croyait forte, qui pourtant pleurait il y a peu, et impressionnante était devant lui. Sa respiration était saccadé, ajoutez à cela le fait qu'elle s'accrochait à ses épaules de toutes ses forces et vous obtiendrez un jeune homme inquiet, bouleversé par le spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Même si Elisabeth pouvait paraître un peu pitoyable à cet instant, elle n'en restait pas moins magnifique aux yeux du garçon. Ses longs cheveux tombaient sur son visage et ondulaient au rythme de sa respiration. C'est cela qu'il trouvait magnifique dans cette scène et pourtant il n'y prêta pas attention plus longtemps. A l'entente de son prénom, Ethan posa ses affaires à côté de lui et se dépêcha d'aller aux côtés de son modèle.

Lorsqu'elle releva la tête vers le visage du garçon, Elisabeth pouvait voir ô combien Ethan était paniqué de la voir ainsi, voir à quel point il ne comprenait pas ce qu'il se passait... Il ne savait pas quoi dire, faire. Comment réagir ? Là était la question qui était dans sa tête. Un peu comme une chanson que l'on écoutait en mode Repeat. Oui, on pouvait comparer sa question à une chanson qui tournait en boucle.

Et ce n'était pas près de s'arrêter. Lorsque la jeune fille se mit à pleurer, ce n'était plus de la peur qu'on pouvait lire dans le regard du petit prince. Non, c'était de l'embarras, de la surprise. La demoiselle était là, à pleurer de nouveau...

C'était Ethan. C'était Ethan qui lui avait essuyé ses précédentes larmes et il avait peur d'être le responsable de ses nouvelles. Pourtant il n'avait rien dit ou fait de dérangeant. Rien fait à par la toucher rien qu'un instant, rien fait à part commencer à la dessiner. Rien dit à par une simple question, rien dit à par son nom... Son nom ? C'était peut-être ça. Après tout Elisabeth ne l'avait-elle pas prononcé quelques secondes plus tôt ? Quelques secondes avant qu'elle se mette à pleurer ? Le petit prince allait pour tendre sa main vers la demoiselle mais fut interrompu lorsque cette dernière posa sa tête sur son épaule tout en s'excusant et en continuant de pleurer.

Elle pleurait au point que l'on pouvait croire qu'elle allait se dessécher. Comment faire pour la consoler ? Il était là, impuissant face à elle. Il ne pouvait ni faire ni dire n'importe quoi. Un seul mot ou geste de travers et tout pouvait se finir entre les deux jeunes gens. Non pas qu'une quelconque relation ait commencé entre eux deux, mais Ethan ne voulait pas devoir la rayer de sa vie comme n'importe quelle personne, comme si ils ne s'étaient jamais rencontrés.

Il finit par relever le visage d'Elisabeth et essaya d'essuyer ses larmes avec son pouce, comme il l'avait fait auparavant. Mais cette fois était plus difficile que la précédente. Même s'il s'efforçait de vouloir sécher les larmes de la jeune fille il n'y arrivait pas. A chaque goutte salée qui disparaissait, une de ses pairs apparaissait. Mode Repeat. Voilà comment étaient programmées les larmes de la demoiselle, tout comme était la question d'Ethan dans son esprit : Que faire pour l'aider ?

Ne sachant pas trop quoi faire, le garçon s'assit par terre puis allongea Elisabeth à ses côtés de façon à ce qu'elle puisse mettre sa tête sur les genoux d'Ethan et qu'il puisse la voir. Qu'il puisse la voir pour sécher ses larmes et pour regarder si sa peine grandissait ou commençait à s'arrêter.

Les seuls bruits que l'on pouvait entendre étaient le bruit du vent contre les feuilles du vieil arbre, sous lequel était les deux jeunes gens, et les sanglots de la jeune fille. Puis, un murmure fit son apparition.

"Là... Calme toi... Ça va aller, ça passera. Une demoiselle n'est pas censée pleurer mais plutôt sourire. Le minois d'une jeune femme est fait pour montrer de la joie, pour être déformé par un sourire et non pour être baigné de larmes..."

Il avait dit ça sur un ton calme et naturel tout en souriant à la Elisabeth et en essuyant ses larmes. Encore le mode Repeat ! Décidément, il était toujours là...

Le regard du jeune homme exprimait beaucoup de choses. A tel point que malgré ses yeux embués de larmes, elle parvenait à voir distinctement ce qu’exprimaient les iris couleur ébène d’Ethan. Il avait relevé le visage d’Elisabeth vers le sien et s’employait à essuyer chacune de ses larmes avec ses pouces. A ce moment-là, ses yeux reflétaient la peur, l’incompréhension, mais aussi de la surprise, ce qui n’avait rien d’étonnant ; après tout, la jeune femme venait de se recroqueviller sur elle-même, presque suffocante à la prononciation d’un simple prénom. Nul doute que pour les personnes extérieures ne sachant pas ce qui se tramait dans sa tête, il devait être bien dur de comprendre ce qui l’avait mise dans cet état.

Bref. Le garçon continuait d’étaler les larmes sur les joues déjà humides d’Elisabeth ; s’il savait à quel point c’était peine perdue d’essayer d’effacer son chagrin aussi simplement. Il fallait juste qu’elle se calme et qu’elle émerge à nouveau de ce puits de chagrin dans lequel elle entrait chaque fois qu’elle pensait à son frère. Et puis, cette fois-ci avait sans doute été la fois de trop ; elle avait été confrontée au fait que ce jeune homme qui se trouvait devant elle aurait pu être Ethan. Le « vrai » Ethan. Et cette culpabilité qui la rongeait alors venait de lui démontrer qu’elle était loin d’avoir fait son deuil.

Elle essayait de se calmer. Vraiment. Mais le regard complètement déboussolé du jeune homme ainsi que la délicatesse qu’il lui témoignait ne rendaient pas la chose facile. Elisabeth voyait le visage de son frère se superposer à celui du jeune artiste, de plus en plus nettement au fur et à mesure que passaient les secondes à soutenir ses yeux de nuit. Elle devenait complètement dingue, c’est ça ? Elle allait bientôt sombrer dans cette folle dépression dont elle ne sortirait plus jamais ? Pourquoi avait-il fallu qu’il porte le même prénom, exactement le même prénom et qu’il lui ressemble autant ? Elle ne comprenait pas. C’était injuste, mais elle savait pertinemment qu’il n’y pouvait rien. C’était trop tard et elle savait qu’elle aurait pu y faire quelque chose. Ca faisait tellement mal et elle ne parvenait pas à calmer cette douleur dans sa poitrine. Que ça s’arrête. Pitié. Que ça s’arrête.

Des doigts légers accompagnèrent sa tête jusqu’à une surface douce. Elisabeth rouvrit les yeux qu’elle avait à nouveau fermés à cause de la souffrance et eut une toute autre perspective de la scène qui se déroulait entre les deux adolescents ; elle était à présent allongée, son crâne reposant sur les cuisses du jeune homme qui était penché vers elle, une lueur d’inquiétude toujours présente dans le regard. Si elle n’avait pas été dans cet état, la jeune femme en aurait hurlé de frustration ; elle devait être ridicule et si pitoyable. Elle ne supportait pas la pitié des autres et encore moins paraître aussi fragile ; ça ne lui ressemblait pas.

Pourtant, elle dut mettre sa fierté de côté et elle le fit encore plus facilement quand elle se rendit compte d’une chose : cet Ethan n’agissait pas dans le but de la blesser ou de la rendre inférieure. Son geste était profondément et tout simplement gentil. Certes, il était sans doute inquiet, voire apeuré par la réaction inattendue de son modèle, mais il agissait avec une telle douceur et une telle déférence qu’elle sentit une gratitude irrépressible monter dans sa poitrine, calmant peu à peu la douleur qui incendiait son cœur.

Un sourire germa alors sur le visage du garçon, en même temps que ses paroles qui l’apaisèrent. Elisabeth savait que ce sourire n’exprimait pas une joie sincère et se voulait plus rassurant que communicatif, mais elle lui en fut profondément reconnaissante, malgré le fait qu’elle soit plutôt étonnée par le geste qu’il venait d’avoir à son égard. Il était d’une incroyable douceur, effleurant toujours ses joues du bout des doigts pour effacer les larmes qui continuaient de couler, lui offrant la possibilité de vider son sac sans la juger (du moins, en apparence). Elle savait qu’elle devait paraître pitoyable et faible ; elle ne voulait même pas imaginer ce que devait réellement penser Ethan, derrière son visage si doux et son regard compréhensif. Peu importait.

Elle resta ainsi de longues minutes, ses yeux bleu pâle toujours figés dans ceux du jeune homme. Patiemment, il essuyait toujours ses pleurs, ne laissant voir aucun signe d’agacement. Au fond d’elle, Elisabeth se demanda comment quelqu’un comme lui avait pu se retrouver dans un tel endroit ; il avait l’air si… compréhensif. C’était vraiment bizarre que cet institut pour jeunes délinquants lui ait ouvert ses portes. Lentement, sa respiration se calma et les larmes finirent par couler à intervalles de plus en plus espacés, jusqu’à ce que ses yeux parviennent à les contenir. Elle devait avoir une mine horrible ; quelques mèches de cheveux lui collaient aux joues, qui, sans aucun doute, devaient être rougies par les gouttes salées. Bah. Après tout, il l’avait déjà vue dans un tel état…

Elisabeth ne savait pas pourquoi, mais elle n’avait pas envie de se redresser. Elle se sentait comme « protégée » sur les genoux de ce garçon qui l’autorisait à ouvrir les vannes jusqu’à ce qu’elles s’assèchent. Elle ne voulait pas bouger, mais ne tenait pas non plus à le mettre mal à l’aise. Elle effleura du bout des doigts la main qui était toujours posée contre sa joue et bredouilla un « Merci. » qu’elle voulut sincère. L’atmosphère était légèrement tendue, maintenant qu’elle s’était calmée ; après tout, elle se trouvait dans une position bizarrement intime sur les genoux d’un quasi inconnu et elle n’osait pas se redresser, effrayée à l’idée qu’il interprète mal son geste, comme s’il l’avait mise mal à l’aise. Bon d’accord, elle n’était pas des plus détendues, mais la gentillesse d’Ethan l’avait profondément touchée et la jeune femme était plutôt gênée à l’idée de le remercier - le mot seul ne suffisait pas (surtout qu’elle ne savait pas encore comment elle allait s’y prendre).

C’est donc sur un ton un peu trop dégagé par rapport à ce qui s’était passé précédemment, qu’elle enchaina :

« D’où viens-tu ? Pourquoi es-tu à Teenagers ? »

Ethan était toujours en train de caresser les joues de la jeune fille pour qu’elle arrête de pleurer. Même si elle continuait à pleurer, même si ses larmes ne cessaient pas, il les essuyait au fur et à mesure, toujours en la regardant et lui souriant tendrement pour la rassurer, ou du moins essayer. Plus le temps passait et plus les joues d’Elisabeth devenaient sèches. Et pourtant, malgré la situation il ne fallait pas omettre un détail : Le garçon avait encore sa main posée sur sa joue et lui souriait toujours. Il voulait qu’elle se sente rassurée mais il voulait surtout l’aider. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce que cette jeune fille qui semblait forte était en réalité fragile ? Peut-être parce que cette jeune fille qui avait été bien élevée, qui semblait imposante lui faisait penser à quelqu’un qu’il connaissait ? Peut-être parce qu’il avait l’impression de se voir quand il la regardait ? Même lui n’en savait rien. Disons plutôt qu’il doutait de ce qu’il était en train de penser. Au final, peut-être n’était-elle pas comme il l’imaginait, peut-être n’était-il pas celui qu’il pensait être. Peut-être se forçait-il à être l’Ethan qu’il ne devrait pas être.

Les deux jeunes gens étaient toujours dans la même position. Cela faisait plusieurs secondes –voire minutes- qu’ils ne bougeaient plus. N’importe qui de spectateur, regardant la scène depuis qu’Elisabeth était couchée, aurait pu croire qu’il était en face d’un tableau, d’une photographie. La seule chose qui pouvait faire que cette idée était absurde était le vent. Cette douce brise légère de début d’année faisait bouger légèrement les cheveux du garçon. Légèrement, oui. Il faut avouer que lorsque qu’Ethan se coiffe le matin, il fait tout son possible pour que ses cheveux tiennent, au risque d’utiliser toute sa bonbonne de laque. Légèrement car le vent ne soufflait pas tant que ça. Assez pour soulever un peu la robe ou la jupe d’une jeune fille mais pas trop pour qu’elle fasse baisser la température.

C’est alors qu’Elisabeth effleura la main du garçon. A ce contact il ne sourcilla pas. Non, il ne bougeait pas malgré la légère confusion qui se lisait dans son regard et la teinte légèrement rouge que prenait ses joues. Lui, gêné ? Allons bon ! Qui était le premier à toucher l’autre ? Qui a posé volontairement la tête de la demoiselle sur ses genoux ? Qui lui caressait la joue pour qu’elle arrête de pleurer ? Qui la touchait toujours alors que cela n’était plus nécessaire ? Lui, lui, lui et toujours lui ! Sérieusement, ce garçon ne tournait pas rond. Ceci dit, lorsque la jeune fille remercia Ethan, ce dernier enleva les cheveux qui étaient collés au visage d’Elisabeth pour les remettre correctement. Il lui souriait toujours et hocha légèrement la tête comme pour lui dire que c’était tout à fait normal.

Puis la question arriva. Même s’il devait s’attendre à ce que les gens qu’il rencontrerait lui demanderaient la même chose, même si c’était la première personne à la lui poser, Ethan ne voulait pas l’entendre. Comment répondre à ça ? Mentir ou dire la pure vérité ? Ou bien les deux ? Déformer la réalité pouvait être une solution mais il ne voulait pas recommencer à l’arranger à sa sauce, à mentir au monde qui l’entourait. Il fallait avouer qu’à cet instant le petit prince n’était pas fier de ce qu’il avait fait, du comment du pourquoi il était ici, qu’il ne savait pas comment répondre. C’est ainsi que plongé dans sa réflexion –et ses yeux toujours dans ceux de la demoiselle- un temps de silence s’installa. Ethan ne bougeait pas, ne disait rien. Le seul bruit était celui de sa respiration, les seuls mouvements étaient celui du thorax qui bougeait au fil de la respiration et de ses paupières.

Le silence n’était pas rompu, comme si le temps c’était arrêté autour d’eux. Aucun geste n’était fait de la part des deux jeunes gens, comme si c’était deux personnages venant d’un tableau. Enfin, c’était comme ça pendant quelques secondes jusqu’à ce que tout ceci soit subitement rompu par Ethan.

Le garçon enleva sa main du corps d’Elisabeth pour poser cette première –et sa jumelle- sur l’herbe de façon à ce que le petit prince puisse s’appuyer dessus. C’est dans un long soupir qu’il rejeta sa tête en arrière, comme s’il voulait montrer qu’il ne savait pas comment répondre à cette question. Même s’il faisait ça pour montrer à la demoiselle qu’elle l’avait mis un peu mal à l’aise, peut-être croyait-elle qu’il ne voulait pas répondre, qu’il ne voulait pas qu’on lui demande pourquoi il était à l’institut ? Allez savoir, après tout Ethan n’était pas télépathe et donc il ne pouvait pas connaître les pensées de celle qui lui tenait compagnie depuis peu. Ceci dit, il lui répondit quand même.

« Disons que… Je suis là parce que j’ai vendu mon corps pour me payer mes piercings, que j’ai été renvoyé de mon lycée parce que j’ai frappé à sang des camarades à cause d’une fille, parce que j’en ai marre d’être celui que je ne suis pas et parce que j’ai des parents irresponsables ? »

Il avait dit ça sur un ton un peu amusé, mais il se mit à rire doucement lorsqu’il mentionna ses parents. Après tout, c’était un peu de leur faute s’il était là, non ? M’enfin, ce qui est fait est fait ! Ethan n’allait pas s’apitoyer sur son sort et maudire ses géniteurs alors qu’il était ici aujourd’hui. Même s’il ne les maudissait pas, il ne les remerciait pas non plus. Non, celui à qui il donnait toute sa gratitude –ou presque- était le Seigneur. Il le remerciait de lui avoir permis d’être ici.

Le garçon pencha à nouveau sa tête vers le visage d’Elisabeth, comme ils étaient un peu plus tôt. Il lui sourit de nouveau et posa à son tour sa question, sur un air un peu plus décontracté.

« Et toi alors ? Pourquoi es-tu ici ? Pourquoi as-tu été transférée ? Pourquoi tu es comme ça ? Pourquoi tu t’es mise à pleurer subitement ? Pourquoi tu montres tes faiblesses à un étranger tel que moi ? »

Toutes ses questions étaient dans l’esprit d’Ethan et la jeune fille était la seule à pouvoir lui répondre. Tout ce qu’il espérait c’était ne pas la vexer, c’était ne pas la voir partir parce qu’il l’embêtait avec ses questions. Mais qui à part Elisabeth pouvait répondre à ses attentes, à ce qui lui trottait dans la tête ? Ceci dit, la seule chose qu’il voulait était qu’elle reste ici, à ses côtés. Même si elle ne lui répondait pas ce n’était pas grave. Elle n’était pas obligée après tout. Ces questions étaient comme les autres, sans attente de réponse…

Elle l’observa se pencher légèrement en arrière ; le regard noir du garçon semblait perdu dans la contemplation du ciel qui prenait une teinte de plus en plus bleutée, l’éclat orangé du lever de soleil n’étant déjà plus qu’un souvenir. Quelques nuages cotonneux parsemaient l’immensité au-dessus d’eux et c’est après un soupir qu’Ethan lui répondit finalement, sans hésitation aucune, d’une manière même plutôt abrupte. C’était d’ailleurs étrange, étant donné le temps qu’il avait mis à ouvrir à nouveau la bouche, comme s’il avait longuement réfléchi au fait de lui répondre. Elisabeth sentit son cœur se serrer lorsque le rire d’Ethan résonna ; il n’était pas vraiment faux, mais conservait cependant une certaine amertume et douleur dont il ne s’était pas encore détaché. Et elle pouvait le comprendre aisément étant donné qu’elle avait vécu situation presque similaire, surtout concernant le dernier point. Ces quelques mots ne firent que renforcer l’impression de proximité qu’Elisabeth ressentait déjà vis-à-vis du jeune homme ; ils se ressemblaient sans doute plus qu’il n’y paraissait. Et de par ce sentiment, elle réagit à son histoire par le silence, sachant pertinemment que c’est ce qu’elle aurait préféré si elle avait ainsi dévoilé ce qui lui était arrivé.

Elle attendit donc patiemment, observant les cheveux du jeune homme qui bougeaient sous la brise légère du vent, quand il se pencha à nouveau vers elle, un sourire encore gravé sur son visage ovale. La scène était toujours aussi paisible et Elisabeth s’attendait à tout sauf au flot de questions que la bouche d’Ethan déversa sur elle. Bon, d’accord, c’était légitime qu’à son tour il veuille en savoir plus sur elle, mais… Elle ne savait pas si elle avait vraiment envie de répondre à certaines de ses interrogations. Son corps se tendit un peu plus et davantage lorsqu’elle se redressa pour s’asseoir aux côtés du jeune homme, ses yeux bleu électrique perdus dans l’observation de l’internat de Teenagers. Tous ces « pourquoi »… Il y en avait tellement, voire trop. Et elle n’avait pas envie de tout expliquer, pas maintenant. Cependant, elle commença :

« Je dois t’avouer que j’ai été transférée à Teenagers plus ou moins contre mon gré. Plus ou moins, parce que j’en avais marre de l’ambiance à la maison, mais que c’est mes parents qui ont pris la ‘‘décision finale’’. De toute manière, ici ou ailleurs, c’est parfait. Tant qu’ils ne sont pas dans les parages. »

Son visage n’exprimait pas grande émotion. Pour Elisabeth, son père et sa mère n’étaient plus que des étrangers ; ils n’avaient jamais réussi à se comprendre mutuellement et les récents évènements n’avaient fait qu’agrandir le gouffre de rancune et de colère qui s’était fissuré entre eux. Et elle n’avait aucune envie de le combler ; c’était mieux ainsi. Bien mieux. Plus de reproches, plus l’impression de ne jamais réussir quoi qu’elle fasse, plus le poids de cette inaccessible excellence sur les épaules.

« Ils ont voulu se ‘‘débarrasser du problème’’, si tu préfères. Ca leur correspond plutôt bien, au fond. Au lieu de discuter… Enfin soit. Ca n’aurait sans doute pas changé grand chose, de toute manière. »

Elle tourna la tête vers Ethan et plongea son regard dans le sien, bien décidée à ne plus verser une larme en sa présence. Comme il l’avait souligné, elle venait d’apparaître dans sa plus grande faiblesse face à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Il ne fallait pas que ça se reproduise. La jeune femme ne voulait même pas imaginer l’opinion qu’il devait avoir d’elle, à présent.

« Ils m’ont reniée. Parce que je leur ai mené la vie dure. Et même pire que ça. De toute façon, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. »

Situation clarifiée, il lui restait maintenant à répondre aux deux dernières questions, qui étaient également les plus délicates. Elle hésita ; à un moment, elle mourut d’envie de tout lui dire, que quelqu’un d’aussi respectueux et gentil que lui soit au courant afin de pouvoir compter sur lui à n’importe quel moment, quand elle en aurait besoin. D’un autre côté, il était trop tôt, bien trop tôt pour qu’elle en fasse part à quelqu’un d’autre. Et puis, Eden l’avait prévenue : mieux valait paraître la plus forte possible si elle voulait éviter les emmerdes au maximum. Après un soupir, Elisabeth conclut :

« Je suis désolée si mes larmes t’ont ennuyé. Ce n’était pas mon intention. Et si tu tiens à savoir pourquoi je pleurais, c’est parce que… Parce que je repensais à un évènement douloureux. Tu n’y es pour rien (ouh, le mensonge. Enfin, semi-mensonge). C’est juste… »

Bon sang. Des larmes lui remontaient aux yeux. Si le jeune homme ne s’était pas trouvé juste à ses côtés, elle se serait sans doute pris le visage entre les mains pour hurler de frustration. Elle en avait assez, bon sang ! Il fallait qu’elle respire… Qu’elle se calme…

« C’est rien… Excuse-moi. »

Là. Parfait. Les larmes ne coulaient pas, mais ne se résorbaient pas non plus. C’était mieux que rien. C’était comme se trouver en équilibre sur un fil à une dizaine de mètres du sol ; au bord de la chute, mais avec l’espoir de se maintenir droit, fier en face des autres.

Ethan écoutait la jeune fille répondre à ses questions. Il l'écoutait parler et au fur et à mesure que ses mots traversaient son esprit, le garçon pensait de plus en plus au fait qu'ils se ressemblaient peut-être plus qu'il aurait cru. Il l'écoutait, la regardait. A aucun moment il avait dévié son regard du sien, à aucun moment il avait pensé que ses questions feraient renaître en lui un sentiment douloureux. S'il avait su, jamais il aurait eu l'audace, l'impolitesse de harceler Élisabeth de questions. Questions qui ne le regardaient pas, sois disant passant, et pourtant elle lui répondait. Même si pour sa dernière demande elle répondit vaguement, le garçon fut touché que la demoiselle lui réponde sans sourciller. Il avait été impoli et elle ne lui fit aucune morale. Remarquable, vraiment...

Arriva alors le moment où elle se ''justifia'' d'avoir pleuré devant le petit prince. Il faut dire que de toutes ses questions, c'était celle à laquelle il attendait le plus une réponse. Lorsqu'il aura entendu cette dernière, il pourra savoir si c'était sa faute ou non, il pourra savoir si la consoler avait valu le coup, il pourra savoir s'il sera toujours fasciné par Élisabeth. C'était tout ce qu'il voulait et pourtant, la jeune fille n'était pas capable de satisfaire son envie, son besoin de savoir. Elle lui répondait vaguement mais cela lui suffisait. Ethan allait lui sourire de nouveau lorsqu'il s'aperçut que les yeux de la demoiselle redevenaient humides. A cette vision ses yeux reflétèrent de la tristesse et l'idée de sourire lui quitta l'esprit. Il ne fallait pas qu'elle pleure. Il ne voulait pas la faire pleurer, même si c'était déjà le cas et qu'il l'ignorait. Si Élisabeth se mettait à pleurer parce que le garçon l'avait forcé à répondre à des questions auxquelles elle ne désirait pas répondre, ce dernier aurait eu honte et ne saurait pas comment se faire pardonner.

Lorsqu'elle s'excusa de se montrer de nouveau faible devant Ethan, il sourit légèrement et il hocha la tête de gauche à droite comme pour lui dire que ce n'était pas grave, qu'elle n'avait pas à s'excuser. Le garçon frôla doucement la joue d'Élisabeth du dos de la main. Il voulait qu'elle se calme, qu'elle ne sanglote pas une nouvelle fois.

« C'est plutôt à moi de te demander pardon. C'est sans doute ma faute si tu as de nouveau envie de pleurer. A propos de ça tu m'ennuies pas, bien au contraire. Les larmes des autres ne me dérangent pas plus que ça. C'est juste que... je n'aurai pas du te poser toutes ces questions, je n'aurai même peut-être pas du venir te déranger depuis le début. Ça aurait sans doute éviter tout cela... »

« Tout cela » était le terme exact. Si Ethan n'avait pas eu envie d'aller dessiner dehors à cette heure-ci, s'il n'avait pas voulu aller sous ce grand arbre, s'il n'avait pas entendu son prénom, il n'aurait pas connu Élisabeth. Il ne l'aurait pas fait pleurer et les souvenirs du garçon ne seraient pas remontés à la surface. Les souvenirs qu'il commençait petit à petit à regretter...

D'un geste nonchalant, le garçon se laissa tomber en arrière. Sa nuque se laissa chatouiller part les brins d'herbe tandis que ses bras ouverts étaient tendus sur le sol. A cet instant, on pouvait voir un enfant qui offrait son corps à la nature, qui profitait du soleil. Soleil qui avait fait son apparition mais qui était caché des deux enfants par l'immense arbre sous lequel ils étaient tous les deux allongés et pourtant, quelques rayons de l'immense étoile chaude chatouillaient le corps des deux adolescents. Profitant de cette douce chaleur et de la légère brise Ethan ferma les yeux et se laissa bercer par ses souvenirs. Il ne pouvait plus les oublier à cet instant alors pourquoi les fuir et ne pas les accepter ?

Dans la pénombre, un visage fit son apparition. Les iris bleus étaient captivant, les lèvres fines et roses donnaient envie, les dents blanches étaient impeccables... Tout cela se dessinait sur un visage fin, au teint légèrement hâlé, sur lequel des cheveux bruns tombaient. Ajouter à cela un corps ni parfait ni repoussant et des vêtements allant avec la morphologie du corps et vous obtiendrez Léna. Cette jeune fille qui semblait aimer Ethan, avec qui il était il fut un temps... La gorge du garçon se noua au souvenir de Léna, au souvenir de cette fille qui lui avait pourri la vie.

Puis une voix se fit entendre. Une voix pleurant, riant, criant. Une voix familière répétant le prénom du garçon... Ethan était sûr d'entendre celle d'Élisabeth et pourtant les « Tu vas me le payer, tu vas regretter de m'avoir menti, de m'avoir quitté » provenaient du corps de Léna. Alors pourquoi il était sûr d'entendre Élisabeth à cet instant ? Les voix des deux jeunes filles étaient si proches que cela ? Mais il y avait autre chose qu'elles avaient en commun... Leurs yeux peut-être. C'est fou comment le bleu de leurs iris se ressemblaient... Pendant plusieurs minutes, plusieurs longues et intenses minutes le souvenir de Léna tournait dans la tête d'Ethan. Ce dernier imaginait en même temps sa vie si son frère était toujours en vie, s'il n'avait pas été rendu au Seigneur, s'il n'avait pas décidé de rendre son existence.

Encore cette voix. Cette fois elle semblait plus proche et Ethan se sentait secoue. D'un coup, le garçon ouvrit les yeux. Il était toujours allongé par terre et la demoiselle qui l'était également peu de temps avant était au dessus de lui. Il ne savait pas quoi dire, quoi penser. Peut-être que la voix qu'il entendit était la sienne, peut-être l'avait-elle secoué pour le réveiller ? Allez savoir.

Rassemblant ses idées, Ethan se redressa ce qui eu pour résultat que son visage était assez proche de celui d'Élisabeth. Habituellement le garçon aurait été troublé, il aurait rougi mais là il s'en fichait un peu. Une fois ses pensées remises en place, il ouvrit la bouche pour prononcer quelques mots :

« As-tu déjà imaginé ta vie si une personne qui t'es chère ne serait pas morte ? As-tu déjà maudit cette personne parce qu'elle t'avait laissé seule, parce qu'elle t'as laissé un fardeau ? As-tu déjà envisagé de vouloir échanger ta place avec cette personne ? As-tu déjà pensé que tu ne méritais pas de vivre et que cette personne si ? »

Ces questions avaient été posé le plus naturellement du monde, comme si elles auraient pu apparaître dans n'importe quelle conversation normale. Les yeux noirs du garçon reflétaient une amertume et fixaient les iris captivant de la demoiselle. D'un geste simple, Ethan frôla du bout des doigts la joue de la jeune fille.

« As-tu déjà voulu briser les frontières de ton éducation et de faire ce que bon te semblait sous les coups de différentes impulsions ? Crois-tu qu'on peut se permettre de vivre heureux alors que l'on porte le fardeau d'un autre, la honte de ses actes, la tristesse de son entourage et que l'on se sente responsable de la mort des autres ? Penses-tu que l'on peut connaître des moments de joie ici ? Que malgré nos actes, on peut profiter de la vie sans honte ? »

Il lui avait fait peur. Non par le geste étrangement intime et pourtant naturel qu'il avait à nouveau eu à son égard, mais pour s'être soudainement allongé sur le dos et ne plus bouger pendant de longues secondes qui lui parurent interminables. Elle avait essayé de capter à nouveau son attention en lui répondant qu'il ne l'avait pas du tout dérangée, qu'elle était contente de l'avoir rencontré et que, sans lui, elle serait sans doute toujours en train de se morfondre, mais elle n'était pas certaine que le jeune homme, les yeux à présent fermés, l'ait entendue. Elisabeth l'observa davantage, remarquant un piercing supplémentaire à l'arcade sourcilière du jeune homme tout en n'osant pas briser le silence qui s'était doucement installé entre eux. Pourtant, au bout de deux trois minutes, elle n'arriva plus à supporter l'absence de réaction d'Ethan ; non qu'elle désirait être le centre de son attention, mais c'était assez inquiétant de ne pas savoir s'il respirait toujours ou non.

« Ethan ? »

Pas de réponse. Il était tellement paisible, comme endormi. Endormi, certes, mais semblant entouré de quelques cauchemars qui lui faisaient froncer les sourcils et plisser les paupières par intermittence. Pourquoi cela lui arrivait-il si soudainement ? Peut-être que, comme pour elle, quelques souvenirs douloureux étaient remontés à la surface, au moment où il s'y attendait le moins ? Elisabeth espérait que s'il ressentait quoi que ce soit de négatif actuellement, ce n'était pas sa faute. Ainsi, dans un élan de culpabilité et d'inquiétude, elle secoua légèrement l'épaule du garçon tout en prononçant plus vivement son prénom. C'était étrange de le dire ; la jeune femme croyait qu'elle n'aurait plus jamais à appeler qui que ce soit avec ce nom si familier. Elle avait l'impression que ça sonnait étrangement faux, que la substance de ce prénom avait disparu en même temps que son frère, comme si ce simple mot était déjà trop usé d'avoir été appelé, murmuré, pleuré ou ri. Quoi qu'il en soit, le jeune homme finit par se redresser, ses yeux semblant perdus dans ce qu'ils venaient de voir, mais les nouvelles questions qu'il lui adressa lui firent comprendre qu'il était bel et bien conscient de ce qui l'entourait.

Le coeur d'Elisabeth se brisa en deux. C'était comme si les derniers mois qu'elle avait vécus venaient d'être résumés en quelques phrases. Comment faisait-il ? Comment arrivait-il à deviner exactement ce qu'elle ressentait et à placer les mots qui convenaient sur ce chagrin et cette culpabilité qui la rongeaient de plus en plus ? La jeune femme avait l'impression que son coeur maintenant séparé en deux parties venait d'être partagé avec le garçon qui l'observait d'une façon un peu trop intense pour être normale. On aurait pu croire qu'une barrière supplémentaire venait de tomber entre les deux adolescents et Elisabeth ne put s'empêcher de lancer un regard furtif vers les lèvres fines du jeune homme qui se trouvait un rien trop près de son visage. Cependant, ses yeux se plongèrent à nouveau dans l'abime sombre de ceux d'Ethan, tant le bouleversement suscité par ses quelques mots étaient grands. La jeune femme ne pleurait plus – l'étonnement d'une telle osmose avec ce quasi inconnu primant sur beaucoup d'autres choses – et souffla un « Oui. » presque inaudible pour cette première salve de questions. Oui, parce qu'il n'y avait pas grand chose d'autre à ajouter ; tout ce qu'il avait dit était si vrai et juste qu'elle n'aurait pu le définir autrement. Oui.

Les doigts sur sa joue lui tirèrent des frissons, en même temps que le regard presque apeuré d'Ethan. C'était anormal cette compréhension, ce lien si jeune mais déjà si solide qu'ils venaient de nouer. Elisabeth devait avouer que cette « connexion » l'effrayait et si elle n'avait pas été aussi captivée par les mots et le regard du jeune homme, elle se serait sans doute enfuie à toutes jambes. On lui avait toujours appris à ne pas se dévoiler entièrement afin de préserver à la fois son intimité et un possible atout lui permettant de retourner la situation à son avantage. Mais, à présent, il était trop tard ; bien qu'il ne sache pas exactement ce qui s'était passé, il comprenait déjà bien trop de choses pour qu'elle se permette de lui mentir. Pourtant, il y avait encore une chose qu'elle tenait à garder pour elle, un seul et unique secret qu'il ne devait pas découvrir : il ne fallait pas qu'il sache à quel point il lui rappelait son frère, combien Ethan aurait pu lui ressembler s'il avait toujours été en vie. Elle ne voulait pas qu'il lui serve de remplacement, au contraire, mais cette révélation risquait de lui faire plus de mal qu'il ne le pensait. Et puis, dans tous les cas, il y avait également quelque chose de différent, quelque chose qui l'attirait chez ce jeune homme et en même temps la dérangeait. Elle ne parvenait pas à mettre de nom dessus.

Il posa de nouvelles questions et cette fois-ci, elle n'attendit pas pour lui répondre. Elisabeth avait envie qu'il sache à quel point ils se comprenaient, à quel point il avait raison sur tout – ou, du moins, presque tout – et pour cela, seuls les mots étaient efficaces.

« Je peux te dire que j'ai déjà brisé les chaînes de mon éducation. Sans doute plus de fois que je ne le laisse paraître ; j'ai pourri la vie de mes parents jusqu'à ce qu'ils craquent et ne me supportent plus. Je n'ai plus envie d'être le chien de qui que ce soit. »

Son regard se faisait de plus en plus dur au fil de ses paroles. On pouvait lire dans ses iris la colère qu'elle témoignait à sa mère et son père, tout comme la carence d'amour qu'elle avait toujours connue jusqu'à présent. La douleur s'effaça pour laisser place à la lassitude. Elle ne détacha pas son regard de celui d'Ethan, mais on pouvait voir qu'elle avait des difficultés à le soutenir.

« Quant à vivre heureux, je dois t'avouer que je n'en sais rien. Mais je pense que oui. Je considère cet institut comme un nouveau départ, comme une possibilité de repartir à zéro. Et je pense qu'en te rencontrant, cette nouvelle vie s'annonce plutôt bien. »

Elle lui adressa un de ces sourires rares, car particulièrement sincère et doux : une immense gratitude se lisait sur son visage maintenant apaisé. Pourtant, Elisabeth considérait qu'il était temps qu'elle s'en aille, qu'il n'y avait pas grand chose à ajouter. Aussi, au lieu de dire quoi que ce soit et sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, elle se pencha en avant et ses lèvres se posèrent sur le visage du garçon. Pas entièrement sur sa joue et sans doute un peu trop près de sa bouche entrouverte, alors que les doigts d'Ethan effleuraient toujours sa pommette. La jeune femme se releva en frottant l'arrière de son pantalon pour le débarrasser de la poussière qui s'y était posée, aucun embarras lisible sur son visage. Elle ajouta une dernière chose, avant de tourner les talons pour se diriger vers l'institut :

« A la prochaine... Ethan. »

Elle lui répondait. La plupart de ses questions avaient eu un « Oui » comme réponse. Quant aux autres, elles avaient été dites sur un ton un peu sec. Selon les dires de la jeune fille, elle avait pourri la vie à ses parents et on pouvait deviner l'amour qu'elle leur portait au ton qu'elle employait. A première vue elle devait avoir eu un problème avec eux mais cela ne regardait pas Ethan et il ne voulait pas la harceler d'avantage. Il en avait assez fait et il pensait ne plus avoir à poser de questions à la demoiselle. Il l'écoutait parler tout en étant plongé dans ses pensées, ou plutôt dans les iris d'Elisabeth. C'est fou comment ses yeux pouvaient captiver à ce point le petit prince. Il soutenait son regard sur son interlocutrice tandis qu'elle répondait à ses deux dernières questions.

Comme ça elle considérait que le fait d’arriver à l’institut était comme si on remettait le compteur d’une voiture à zéro ? Que l’on pouvait oublier notre passé, ou du moins essayer ? Si elle voulait ! Par contre ce que le petit prince ne comprenait pas, c’est pourquoi la « nouvelle vie » d’Elisabeth commençait bien puisqu’elle l’avait rencontré ? Bizarre… C’est à cela qu’Ethan pensait sans relâche. Comment oublier son passé était une chose possible ? Comment savoir que notre vie ne sera pas mauvaise alors que nous venons de rencontrer une personne ? Ça serait donc ça que l’on appelle l’instinct féminin ?

Alors que le jeune homme était concentré sur les yeux d’Elisabeth, il fut brusquement tiré de ses songes lorsque cette dernière déposa un baiser au coin des lèvres d’Ethan. Ce geste eu pour conséquence qu’il retire sa main de la joue de la demoiselle et que son visage devint rouge. Ce geste proche qu’une « inconnue » venait d’avoir à son égard était troublant. C’est donc le visage rouge, caché par sa main, et ses yeux plein de confusion que le petit prince vit Elisabeth lui sourire. C’était la première fois. C’était la première fois qu’il voyait ce genre d’expression sur son minois. Puis elle se releva et s’éloigna du garçon. « A la prochaine » ? Alors comme ça elle pensait à une nouvelle rencontre ? Si elle voulait. Ce n’était pas Ethan qui serait contre.

Il resta assis encore quelques instants, regardant Elisabeth repartir vers le bâtiment. Ses cheveux bougeaient, dansaient au rythme de ses pas. Il les admira quelques secondes avant de se souvenir de son dessin. Depuis que la demoiselle s’était remise à pleurer, Ethan avait oublié son carnet de croquis. Lorsqu’il regarda le dessin qu’il avait fait d’Elisabeth, les évènements qui s’étaient déroulés auparavant lui revinrent à l’esprit. Prenant son crayon, le petit prince jeta un coup d’œil vers la jeune fille puis vers son croquis. Il modifia ce dernier : Les cheveux devinrent plus longs, la robe que portait la jeune fille sur le papier prit le même chemin, et le visage donna la touche finale à son croquis. Le garçon ne savait pas encore quelle expression lui donner et il opta pour un sourire. Le même qu’Elisabeth lui avait montré avant de le laisser là.

Le petit prince nota une phrase, en russe, en bas de la feuille et lorsqu’il data et signa d’un « M » le dessin il cria un bon coup. Le « BETH, ATTENDS ! » qu’il avait prononcé résonnait autour d’eux. Il n’était pas sûr qu’elle allait se reconnaître lorsqu’il l’appela. C’est vrai qu’utiliser un diminutif pour son prénom alors qu’ils se connaissent à peine, qu’ils ne savent pratiquement rien l’un de l’autre, était un peu exagéré non ? Mais entre son hurlement et le temps qu’Elisabeth s’arrête et se retourne, le garçon espérait intérieurement qu’elle se reconnaisse. Et c’est ce qu’elle fit. Stoppant sa marche, elle fit demi-tour sur elle-même pour attendre la suite.

La suite ? Ethan marcha tranquillement vers elle, comme si de rien n’était. Il ne voulait pas courir. Il ne voulait pas prendre le risque d’abîmer son œuvre lorsqu’elle se retrouvera confrontée au vent ou si jamais il la faisait tomber et que quelqu’un marche dessus. Ah non ça jamais ! C’est pourquoi il marchait, il prenait son temps, pour arriver jusqu’à Elisabeth.

Une fois devant elle, le petit prince arracha la feuille et lui donna son croquis. Certes il était fait à la va-vite mais pour lui c’était une chose qui prouvait qu’il portait la demoiselle dans son cœur, qu’il l’aimait bien.

« Tu as été mon modèle. J’y tenais et c’est pour cela que je te l’offre. C’est toi que j’ai dessiné alors c’est normal qu’il te revienne. J’espère qu’ainsi ta vie à l’institut sera meilleure que la précédente et que tu ne pleureras plus. Pour que tu puisses toujours sourire. »

A sa dernière phrase Ethan sourit à la jeune fille puis déposa un baiser sur sa joue. A croire que ces signes d’affection entre eux étaient la marque d’un jeu. Ils ne savaient que leur nom, que la raison pour laquelle ils étaient ici et déjà ils se montraient des signes d’affection. Si ce n’était pas une sorte de jeu, qu’est-ce que cela pouvait bien être ?

« A une prochaine fois… Beth. »

A la prononciation du diminutif que le petit prince avait donné à la demoiselle, ce dernier se retourna et parti dans la direction opposée à celle d’Elisabeth, son carnet sous le bras. C’est en chantonnant une comptine d’enfants que le garçon fit un signe à la demoiselle, comme pour la saluer. Cette journée allait bien commencer, il en avait le pressentiment et ce ciel bleu lui confirmait un soleil étincelant.

Sa comptine d’enfant terminée, Ethan loin, bien loin de la demoiselle. Lorsqu’il s’était retourné elle n’était plus là. Sans doute avait-elle continué sa route. C’est en profitant de sa solitude, du fait qu’il était seul dans le jardin que le garçon murmura « Quoi qu’il arrive, ton sourire sera toujours présent » avant de repartir. Si l’on regardait bien le dessin, si l’on se souvient que le garçon y avait noté quelque chose, c’était cela. Au moins en notant cette phrase dans sa langue natale il avait un espoir, même infime, de la revoir…

Sujet Terminé ?

Oui =) Merci beaucoup et encore désolée de ne pas l'avoir mentionné !

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» Ethan M. Hawkins
» [+ 16] Cap ou pas cap ? (PV Ethan M. Hawkins)

Tout ne tient qu'à un fil. [PV Ethan M. Hawkins]

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