Oups. Apparemment, le modèle improvisé de Lunami ne semblait pas très heureux d'avoir été immortalisé inopinément. En même temps, être photographié par une inconnue en pleine nuit dans un institut qui accueille des gens pas très normaux, ça peut faire peur. Mais Lunami n'avait rien d'un pervers qui prendrait ses pauvres victimes en photo avant de les violer. En apparence. Il ne faut jamais se fier aux apparences..mais, en l'occurrence, ce n'était pas le cas. Lunami n'avait pas pensé que ça pourrait gêner cette jeune personne d'être prise en photo. En fait, tant qu'elle était derrière son objectif... Elle prenait souvent les gens sans leur demander leur avis, la plupart n'aimait pas. Et puis ces derniers temps elle ne parlait même plus aux « autres ». Alors elle les prenait en catimini.

Sauf que là, elle était prise en flagrant délit. Et pas qu'un peu. L'endormi se leva et avait tâtonné jusqu'à l'endroit où elle se trouvait. Malgré la lumière pâle de la lune, son regard acéré perçut plus ou moins le garçon. Il était plutôt beau. Elle voulut le prendre de front. Mais au vu de sa réaction première, il n'allait pas apprécier.


Se sentant agressée, elle se recula d'un pas. Comme réponse, elle lui tendit la photo prise un peu plus tôt. Elle était en tort, elle le savait. Elle tremblait. De froid. De peur, un peu, également.
Bon, le jeune homme semblait plus interrogateur que furieux, même si la colère perçait dans sa voix. La photo était jolie, peut-être que ça l'apaiserait. Elle aimait quand les gens appréciaient son travail. Son père lui trouvait du talent, elle espérait que ce n'était pas complètement faux. Elle en avait beaucoup, des photos de son père. Quasiment la seule personne humaine de son album, avec Ryan bébé. Sinon, elle prenait rarement les gens en portraits, évitant leurs yeux accusateurs. C'était des dos. Des ombres. Comme dans sa mémoire...

La sangle de l'appareil autour de son cou, elle le laissa pendre sur sa cage thoracique pour se tortiller les poignets. C'était comme si elle voulait tordre ses cicatrices. Tordre ces horribles souvenirs. Comme sa raison était tordue à présent.
Elle sentait, à l'allure du jeune homme face à elle, que l'entretien qui suivrait ne serait pas des plus agréables. Elle sentait l'angoisse monter, les poignets la brûler. Elle semblait de plus en plus mal à l'aise et inquiète. Car inquiète, elle l'était. Il avait employé le même ton que celui que son père employait pour la gronder. Quand elle avait fait une bêtise. Quand elle devait être punie. Elle ne voulait pas être punie.


La voix. Encore cette voix. Ne pourrait-elle jamais s'en débarrasser? Confrontée à ce genre de situation la voix était toujours là pour intensifier son angoisse et sa paranoïa.

Troublée intérieurement, des gouttes de sueur rendaient le front de Lunami humide...

Il ne parlait pas. Elle non plus. Elle, elle ne parlait jamais. Lui, il examinait l'image figée que lui avait tendu la jeune fille tremblante. Avant, elle parlait. Elle parlait même très bien, pour une petite fille de 7 ans. Elle était curieuse de tout, posait des questions, ouvrait sur le monde ses yeux émerveillés. Mais...le monde n'était pas beau lorsqu'il se teintait de sang. Jamais. Le sang de sa mère...elle n'avait pas assisté à l'accident mais le voyait dans ses mauvais rêves. Son sang. Celui qu'elle avait fait couler elle-même. Elle avait senti la vie s'écouler par ses plaies, sa vision s'était obscurcie...elle s'était réveillée à l'hôpital. Vivante. Démente. Elle s'emmura seule avec sa folie, avec sa voix, et ses paroles se firent de plus en plus rares, tant et si bien que plus personne ne lui parlait. A part son père, bien sûr. A part son père, les gens en avaient certainement assez des silences que Lunami leur offrait en réponses, et tout naturellement ils cessèrent de lui poser des questions, de lui proposer de l'aide. Car Lunami elle, les voyait d'un œil dément, la montrant du doigt, l'accusant, riant d'elle une fois qu'elle tournait le dos. Elle avait fini seule. Elle réalisa qu'être seule rendit la voix encore plus horrible à supporter, car même si elle ne parlait pas, elle s'exprimait avec les autres. Par le regard, ses expressions, ses photos (comme ici même), ses dessins... Être seule eut pour conséquence d'accentuer sa folie. Elle en avait conscience, et désormais elle ne voulait plus être seule. Elle voulait avoir quelqu'un auprès d'elle, juste...comme ça.

Dans les yeux du jeune homme elle put lire une satisfaction furtive, qu'il tenta de cacher du mieux qu'il put. Bien sûr, cette photo était belle. Il y avait un beau cadre, une ambiance lunaire...un banc avec avec un beau garçon dessus. Le tout rendait une belle photo, cela allait dans l'ordre des choses, C'est comme la nourriture... Si tous les ingrédients sont bons, le résultat sera bon. Autant dire que Lunami est nulle en cuisine. Elle n'est bonne qu'en dégustation...
Quand il fit mine de lui rendre la photo accompagné de trois mots, elle la refusé avec un tout petit sourire contrit, voulant par là dire qu'elle lui offrait. Elle lui plaisait, elle le savait bien, alors autant qu'il la garde. Elle en referait d'autres... si il voulait bien. Elle se fit la réflexion que la prochaine fois, si c'est encore lui sur le banc, elle éviterait de le prendre dans son objectif. A part les tentatives de suicides, elle répétait rarement les mêmes erreurs.

-T'as froid ? Ou j'te fais peur ?

Oups. C'est vrai qu'avec sa chemise et ses escarpins, elle faisait tâche.
Elle ne s'était pas attendue à une telle température (pourtant, elle s'était déjà fait avoir à son arrivée, dans l'observatoire...finalement, elle refait parfois quelques erreurs).
Oui, elle avait froid. Et non, l'aura qu'il avait quelques temps plus tôt s'était dissipée, elle n'avait plus peur. La brûlure aux poignets s'étant calmée, elle croisa les bars sous la poitrine, comme à chaque fois qu'elle avait froid. C'était comme si elle avait un code: pour chaque chose...un geste...au cas où, si quelqu'un la connaissait, il comprenne facilement... Mais personne ne connaissait Lunami. Sauf son père.

Elle souffla dans l'air, et son haleine se transformée en douce nuée blanche. Elle la regarda s'échapper en volutes, et hocha la tête pour dire qu'elle avait froid. Elle espérait qu'il comprendrait...

Le jeune homme de ne fit rien. Il baissa la photo après l'avoir réexaminé quelques instants, semblant troublé. Il ne prononça aucune nouvelle parole, il devait avoir saisit le mutisme de Lunami. Pas très dur de le faire, en même temps. Elle passait son temps à faire des petits signes, plus ou moins compréhensibles. Sans jamais ouvrir la bouche, excepté quand elle chantait. Et ça, seul Ryan, son petit frère, avait pu y assister. Et Luca, par accident, le jour de l'arrivée de Lunami. Hier, donc. Elle n'avait d'ailleurs pas perdu sa perplexité face à cet individu qui cachait son vrai sexe. Elle n'avait pas abordé le sujet, et ne connaissait donc pas ses motivations. Peut-être un jour, s'ils devenaient proches...

Elle suivit le jeune homme quand il l'invita à le suivre sur le banc. Elle trouvait ça étrange. Avant, personne n'aurait eut l'idée saugrenue d'inviter « la folle » à s'asseoir à côté de lui sur un banc. Elle trouvait cela étrange mais cela l'apaisait de se trouver dans ce institut où elle ne voulait surtout pas venir au départ, car personne ne la connaissait et ainsi ne l'accusait de quoi que ce soit. Pour l'instant, la voix avait été là mais ne l'avait pas poussé à d'extrêmes sensations de malaise. Elle n'avait pas encore fait de crises d'angoisse ou de paranoïa, tandis qu'avant, en compagnie de personnes autres que son père ou Ryan, elle était toujours renfermée sur elle-même, prostrée, ignorée. Elle, se sentait traquée. Par la voix, par les autres...

Rejoignant le banc, elle s'y assit, laissant une distance respectable entre eux deux, sa timidité assez prononcée. Une fois assise et rassurée, toujours frissonnante, elle leva la tête vers le ciel, une fois de plus. Elle en trouvait rien de plus beau que les étoiles... celles-ci se reflétaient dans ces yeux encore assombris par la nuit et leur conférait un étrange éclat. Echo lointain de ce qui pétillait dans son regard lorsqu'elle était gamine... Elle afficha un petit sourire triste tout en continuant à observer le voûte céleste. Elle ne cherchait aucun constellation en particulier (elle ne les connaissait pas), mais laisser divaguer son regard par-ci par-là. L'appareil qu'elle avait laissé pendre quelques instants plus tôt sur sa poitrine revint à sa place initiale entre ses mains. Elle cadra le ciel derrière un réverbère dispensant une vague lumière faiblarde, et appuya sur le déclencheur. Le bruit de l'appareil lui semblait faire un bruit de tous les diables dans le silence tamisé de la nuit. Elle fit mine de ne pas y faire attention. La photo sortie, elle l'examina quelques secondes et la rangea promptement dans sa sacoche. Gestes huilés et précis. Elle grimaça, réalisant qu'il ne lui restait plus beaucoup de photos à faire sur cette pellicule. Elle ne savait plus s'il elle avait pensé à en prendre en réserve.

Elle tourna la tête vers son compagnon de la soirée. Il avait pensé à s'habiller plus chaudement qu'elle. Quelle idiote, elle avait l'air bien niais, maintenant.
Elle souffla sur ses mains dans le but de les réchauffer un peu. Les nuées blanches s'insinuèrent entre ses doigts fins et prirent la fuite dans la nuit. A nouveau elle les suivit du regard, les trouvant belles. Se confondant dans l'obscurité, elles disparurent trop vite à son goût. Elle ramena ses genoux sur sa poitrine, bien qu'un peu gênée par ses talons, mais cela gardait un petit peu la chaleur.
Le jeune homme à côté d'elle adorait les carambars, d'après ce qu'elle avait pu voir. C'était une manie courante, les sucreries? Elle avait observé ce trait chez Luca, aussi...
Les bras enserrant les genoux, elle posa doucement la tête sur ces derniers, le regard tourné vers lui...

-Tu vas au moins me dire ton prénom ?

* Lunami *

Dommage, ce jeune ne lisait sans doute pas dans l'esprit des gens. Heureusement pour lui d'ailleurs. Les pensées – en général – empruntent souvent des directions auxquelles on ne s'attend pas du tout de la part de notre interlocuteur. Même les nôtres, d'ailleurs. Qui peut dire ce qui se trame tout au fond de notre inconscient? Hm... Surpris est certainement celui qui peut lire dans les esprits.

Son prénom. Un mot parmi des milliers qui résume ce qu'elle est. « Lunami », un prénom atypique qui prévoyait peut-être dès sa naissance une attirance pour les astres célestes: on pourrait y voir la contraction de « Lune » et d' « amie ». Mais c'était loin de la satisfaire quant à ce qui faisait qu'elle était elle. Pourquoi se cacher derrière un prénom comme une étiquette? « Lunami ». Elle était Lunami mais elle était bien plus. Elle était Danse. Elle était également Musique, Douceur, Timidité, Harmonie. Elle ne supportait pas la manie des gens de mettre un seul et unique mot sur une personne. A quoi rimait le fait d'enfermer un être changeant tout le temps derrière un nom? Un nom qui plus est choisi par les parents, donc pour Lunami il s'agit là d'un critère qui ne définit pas en soi une personne... Mais assez de divagations.

-Sans doute pas, hein ?

Un soupir imperceptible s'échappa des lèvres de la jeune fille. Il dessina des volutes à l'unisson de celui de son voisin de banc. Bah. Le prénom est important pour la plupart des gens.
Elle conservait à son poignet un bracelet qu'on vous enfile à l'hôpital comme un collier à un chien pour ne pas le perdre. Il était tout juste assez large pour masquer sa cicatrice gauche. On y avait inscrit son nom et son prénom, comme le dictait la procédure. Heureusement qu'il était tout de même discret, car se balader avec un bracelet d'hôpital fait vraiment détraquée échappée de l'asile. Elle l'avait gardé pour justement cacher sa cicatrice, car il était étanche; elle le gardait même sous la douche. Les voir faisait remonter en elle des souvenirs désagréables...

Après le silence qui avait suivi ses questions, elle relâcha ses jambes qu'elle avait remontées. Ne voulant pas quitter la place qu'elle avait à peine réussi à chauffer, elle vrilla légèrement son buste – le jeune homme se trouvait à sa droite – et se pencha tout aussi légèrement – le banc n'était pas si loin et ils n'étaient pas si éloignés – pour lui tendre son poignet gauche, lui dévoilant ainsi ses nom et prénom. Aussi souplement qu'elle avait bougé, elle se remit en place et remonta à nouveau ses jambes contre elle. Il devait avoir eu le temps de lire, à part s'il était vraiment très long à la détente... Mais Lunami le soupçonnait du contraire, plutôt. Et elle avait aussi observer que les plus grands fous, dans le sens large du terme, était en fait plus intelligents que la moyenne. C'était son cas, elle ne s'en vantait pas et n'en avait en fait même pas conscience. Elle ne sait pas qu'à 7 ans parler 5 langue différentes est un exploit (à partir de l'incident qui est arrivé à ses 7 ans elle a cessé d'apprendre réellement sauf en art ou elle a était plus autodidacte qu'autre chose).

Lunami se leva d'un pas léger – elle semblait danser même quand elle respirait – et se mit face à lui. Se penchant afin que son visage soit à la même hauteur que le sien qui étais plus bas il était assis, il devait donc pouvoir observer à loisir son visage angélique bordé de sa chevelure couleur soleil, mais cela se voyait moins dans cette fraîche nuit. Elle tendit son index, le désignant.

* Et toi, mystérieux jeune homme? Comment dois-je t'appeler? *