Une paire de chaussures franchit avec dédaigne le pas de la porte d'entrée du fameux Institut Teenagers. Un lourd sac vint se poser à côté, tombant avec un bruit sourd sur le sol carrelé. Aucune chose ne pouvait impressionner le jeune adolescent, restant stoïque face au hall d'entrée qui trônait majestueusement sous ses yeux. Un lustre balançait lentement au dessus du milieu de la grande salle, et les pensionnaires allaient et venaient sans interruption, traversant le gigantesque escalier qui servait d'accès aux étages supérieurs. Outre cette entrée, digne d'un ancien château restauré, on pouvait apercevoir une lignée de bancs, occupés à certains endroits par des adolescents hagard en quête d'un quelconque repos au cours de leur journée. À gauche et à droite de la vaste pièce, se creusaient de longs couloirs sombres dont le fond restait indistinct.

« Pfff, c'est vraiment là que j'vais vivre ? On dirait une de ces saletés de demeures familiales de gosses de riches... »

Le jeune homme était resté debout au milieu de ce hall, son sac toujours à ses pieds, des écouteurs plantés dans les oreilles, les yeux fixés sur le néant. En fouillant dans sa poche, il sortit un petit morceau de papier froissé, sur lequel était écrit l'adresse de l'Institut, qu'un officier de police lui avait remit le jour de son départ. Son voyage fut de courte durée car il se trouvait déjà en Californie, il ne lui fallut donc que quelques heures de train suivi d'un court trajet en taxi pour trouver l'endroit indiqué. Il n'avait emporté avec lui que très peu de bagages, ne voulant prendre que l'essentiel même s'il savait que son passage ici ne serait pas de courte durée. Il se dirigea vers la poubelle afin d'y placer le morceau de papier qu'il avait roulé en boule, et le lança au milieu des emballages plastiques et autres bouteilles en verre qui reposaient au fond de ce réceptacle. Il tourna la tête et retourna chercher son sac qu'il avait laissé au milieu de la salle. Il regarda autour de lui; personne n'avait semblé l'avoir remarqué. Étant habitué à passer tel un fantôme, il alla au hasard des couloirs observant chaque personne attentivement, et s'imaginant, à la vue de leur visage, leur histoire et leur caractère. Il essaya alors de s'imaginer si il y aurait des personnes avec qui il pourrait dialoguer, ou même se lier d'amitié, et, par un effet de conséquences, se perdit dans ses pensées.

Soudain il s'arrêta, regarda autour de lui, et constatant qu'il ne s'était pas perdu que dans ses pensées, revint sur ses pas pour retrouver le hall d'entrée qu'il n'avait pas fini de visiter. Sur son chemin, il vit d'autant plus de nouvelle têtes et tenta dès le début à s'habituer à ce cadre de vie cheangeant et actif. Tout lui paraissait inconnu et étrange, il ne se sentait plus si unique qu'il le pensait. Il préféra finalement baisser la tête et regarder le carrelage défilant, de peur que le tournis ne lui prenne. Arrivé dans le hall, il se lassa de son invisibilité et s'assit quelques minutes. Il contempla la grande porte en chêne de l'entrée et les gravures qui l'ornaient. Encore une fois il se perdit dans ses pensées

« Mais qu'est ce que je fous là moi ? » pensa-t-il à haute voix

Son ennui en tête, il avait oublié quelle était la première chose qu'il devait effectuer après son arrivée. Il fouilla dans sa tête et se rappela la présence d'autres étages. Il se leva de son banc et contempla une dernière fois cette vaste pièce avant de commencer à se diriger lentement vers les escaliers. Personne ne faisait attention à lui, et il se dit que c'était juste parce qu'il avaient autre chose en tête. Arrivé à la quatrième marche, on l'interpella:

« Hey toi ! T'es nouveau non ? »

« - Hey toi ! T'es nouveau non ? »

Cette voix guillerette qui l’avait interpellé, figea Lane sur la marche qu’il avait atteinte. Sans doute sa tête lui jouait des tours, et sans doute il n’avait pas entendu ces mots, mais avant qu’il ait eu le temps de se retourner afin d’en retrouver l’origine, la personne en question était déjà devant lui, le surplombant d’une marche dans l’escalier. Un sourire béat sur le visage, et des yeux hagards, cet adolescent paraissait être dans un état second, sans doute l’œuvre d’une drogue ou autre, mais cela n’était pas vraiment d’une grande importance pour le jeune homme qui restait muet devant cette apparition pour le moins déroutante. Les yeux blancs, presque translucides du drogué face à lui, semblaient le transpercer. Un frisson lui parcourut le dos, il ouvrit la bouche, mais avant d’avoir pu émettre un seul son, l’autre prit la parole :

« - Moi c'est Kai, tu t'appelles comment ? Tu viens d'arriver ? Viens t'assoir ! »

Il ne comprenait pas vraiment la situation surréaliste qu’il était en train de vivre, on venait quasiment de lui donner un ordre après lui avoir coupé la parole. Pour Lane ce n’était pas tant l’affront qui le gênait mais plutôt le fait qu’il paraissait transparent, il n’était juste visible qu’à travers la drogue que l’autre venait d’ingurgiter. Et ce sentiment, il ne l’aimait pas. Il aimait se sentir vivant, existant et visible de tous, et le contraire le faisait se sentir mal. Mais dans l’immédiat il n’eut pas le temps d’être troublé car son bras venait juste d’être empoigné et entrainé vers la rangée de banc qu’il venait, deux minutes plus tôt, de quitter. Il ne se sentit pas la force de protester, peut être pour observer ce qui se passerait, pour analyser la conduite d’un drogué, ou tout simplement pour voir de quoi cette personne était capable, car il serait bien forcé de cohabiter avec lui. Enfin bon; cohabiter était un bien grand mot à la vue de la foule trainant rien que dans le hall d’entrée, la probabilité qu’il puisse un jour le rencontrer à nouveau était bien faible. Malgré tout il n’eut pas l’envie de se débattre et se laissa entrainer vers le banc. Les doigts du dénommé « Kai » se resserraient autour de son poignet, mais la douleur fut supportable. Arrivés aux bancs, Kai l’assit avant de s’asseoir à son tour et de lui relâcher rapidement le poignet. Lane entraperçut à travers l’écharpe de l’adolescent un rat. Peu banal comme animal de compagnie, ou alors c’est parce qu’il s’lave pas, se dit-il. Le rat semblait accorder plus d’importance à son « maitre » qu’à l’étranger se trouvant face à lui. Il ressemblait à n’importe quel rat qu’on peut trouver dans les égouts ou dans un vieux film d’horreur en noir et blanc. Mais la présence de cet animal ne l’étonna pas plus. Il leva les yeux et vit avec stupéfaction que l’autre le regardait, en donnant l’impression qu’il attendait quelque chose. Peut-être son prénom… Bien sûr ! Il l’avait demandé deux secondes auparavant. Il ne se fit pas prier, car il pressentait que si il ne se dépêchait pas de répondre, l’autre aurait un comportement inattendu, ce qui lui provoquerait des ennuis, et les ennuis, Lane préférait ne pas les avoir (pas tout de suite tout du moins).

« -Heuuu… Moi j’m’appelle Lane et oui je suis nouveau… »

L’inconnu le regarda longuement. La réponse ne semblait pas le satisfaire. Il continuait à attendre avec une sorte d’impatience.

« - Lane ! C’est mon prénom c’est tout. Je viens juste d’arriver »

Lane afficha un large sourire. Il était conscient que le monde autour de la personne face à lui n’était pas du tout le même, et donc s’amusait à rester poli afin de constater la bêtise humaine. Bêtise humaine qu’est la drogue : lui, au moins, n’y avait pas touché, c’est pour cela qu’il s’amusait souvent à prendre de haut toutes les personnes qui en prenaient et qui étaient tombées dans ce « piège ». De plus il ne savait pas de quoi la personne devant lui était capable. Il tendit la main pour inciter Kai à faire de même. Il se demandait ce qui allait se passer ensuite…

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