Froid. Vent. Obscurité. L’odeur de la nature qui commençait à mourir. Tout indiquait que ce n’était pas une nuit à faire sa promenade dehors. Quoi de plus déprimant que d’être seul, au sommet d’une tourelle avec pour seule compagnie celle des pigeons endormis ? En attitude, le mistral de l’Automne se faisait plus mordant encore. Et Nathanaël, tout comme la nature qui l’entourait, était d’une humeur particulièrement morose ce soir-là. Pourtant, il avait sa dose, et même une fille s’il l’avait voulu. Mais nan. La drogue ne résout pas tout, le sexe non plus. Y’avait des jours comme ça où il n’avait plus envie de sourire, qu’importe toute l’Héroïne ou tout l’alcool qu’il se tapait. C’était comme ça. Parfois, ses problèmes deviennent opaques, comme des cotons brumeux, mais il finissait toujours pas s’en souvenir. Le cerveau humain est une plaie, la mémoire aussi.

S’avançant sur le dallage glacé, l’Irlandais aux yeux bicolores retira un instant sa Marlboro de sa bouche pour lever les yeux vers le ciel. Avec toute cette pollution de merde, on avait souvent du mal à voir les étoiles aux Etats-Unis. Cependant, en hauteur et quand le ciel était dégagé, c’était à peu près correct, même si ça n’avait rien à voir avec le ciel d’Europe. Mais est-ce que le Papillon était venu pour regarder les étoiles ? Pas seulement. Pour être seul aussi. Pour être seul avec lui-même et sa solitude. Se torturer l’esprit avant d’aller rejoindre ses cauchemars. Pour ne plus faire semblant de sourire. Parce qu’en ce moment, il n’en avait plus envie. Mais demain, ça ira mieux. Demain, se promit-il.

Avec sa démarche traîne-les-pieds, le junkie se dirigea vers le balcon dans le vide et, avec maladresse – il avait un peu bu aussi, ce c** -, escalada la rambarde pour poser son cul dessus. Il avait maintenant les pieds au dessus du vide et, le dos vouté, observa le paysage nocturne devant ses yeux. L’institut et le reste s’étendait en dessous lui, tandis que la constellation d’Orion, sa préférée, brillait d’un éclat d’espoir. La lueur des réverbères s’acharnait sur son dos courbé par la mélancolie, et seul le bout de sa clope éclairait son visage pensif d’une lumière rougeoyante. Il régnait autour de lui un silence religieux et apaisant.

Allez Nath’, ‘faut que tu te reprennes. Niveau malheur, y’a sûrement pire que toi.
Au pire, tu peux j’t’jeter d’en haut…Si t’en a le courage.
Mais dommage, tu l’as pas. C’est c** hein ?

Muré dans son propre silence, le Papillon avait ses yeux bicolores plongés dans le vide sans vraiment le regarder. Ses pensées l’emportaient ailleurs, ce qu’il voyait n’importait plus. Il ressentait, juste. La nicotine qui détruisait ses poumons. L’Héroïne qui parcourait ses veines. L’alcool qui lui embrouillait la tête. Toutes ces choses qui lui pourrissaient cette enveloppe corporelle qu’il haïssait. Comme quoi le plaisir était toujours payant. Bah, tant mieux. Plus vite ça le tuera, mieux ça vaudra. Qu’est ce qu’il le rattachait sur terre de toute façon ? Rien. Absolument rien. Il ne vivait que par crainte de la mort, rien de plus.

Un bruit de pas le fit sortir de sa rêverie, mais il ne se retourna pas. Juste un discret soupir d’agacement. Terminé, miséricordieuse solitude. De combien était le pourcentage de chance que quelqu’un vienne le déranger ici, à trois heures du matin ? Si peu, et pourtant…Holly shit. Bah, peu importe après tout. C’était un endroit public, ‘fallait s’y attendre. Mais tout était public ici, même sa propre chambre envahie soit par ses colocataires, soit par les conquêtes des uns et des autres. Mais tant pis. Déjà que tu vis aux crochets de la société là, tu vas pas te plaindre de ne pas avoir d’endroits à toi. Ça serait l’hôpital qui se fout de la charité.

Aussi ne fit-il aucun commentaire quand l’inconnu(e) se posa non loin de lui, sur la même balustrade. L’Irlandais lui jeta un rapide coup d’œil pour finalement vite s’en désintéresser ; il faisait trop noir, seul leurs dos étaient éclairés. Pourquoi regarder une chose qu’on ne peut pas voir, hein ? Il entendait juste les sons brouillés de la musique d’un mp3 mit trop fort. Aussi fixa t-il ses pensées sur une chose qui avait plus d’intérêt pour le moment ; sa Marlboro. Oh, tiens ?

Le Papillon enleva la cigarette de sa bouche et l’observa d’un œil critique. Il était déjà arrivé au filtre, et un long tube de cendres était encore au bout. Eh ben, il devait avoir rêvassé un sacré bout de temps pour l’avoir fumée comme ça, sans s’en rendre compte. Dégouté, comme un enfant qui avait avalé trop vite un bonbon, il la jeta dans le vide et se mit à fouiller dans ses larges poches, à la recherche de son paquet de clopes.

Un sachet de substances illicites diverses. Son harmonica. Des chewing-gums à la menthe. Un gâteau un peu écrasé dans son emballage, volé en cuisines. Ah, le paquet de Marlboro mais…Vide.

*Eh meeeerde…*

Boulet, t’aurais dû vérifier s’il t’en restait assez quand même, et prendre l'autre paquet qui trainait dans ta chambre ! Raaah, j’vous jure ! Maintenant si t’en veux, ‘faut que tu redescendes en chercher. A moins que…

Le jeune homme trouva soudainement un nouvel intérêt à l’intrus –tiens donc xD-. Il hésita un court instant après l’avoir fixé quelques secondes et, finalement, descendit de son perchoir avec paresse pour se diriger vers…Lui ? Elle ? Trop sombre, et les formes ne l’aidaient pas beaucoup. Cette personne semblait être un peu plus petite que lui et toute maigrichonne, mais un homme pouvait aussi être comme ça, lui-même en était la preuve vivante o/. Boarf. Là n’était pas la question. Tout ce qu’il voulait, c’était savoir si cette personne pouvait le dépanner ou non. Se doutant qu’il ne l’entendrait pas avec sa musique assourdissante, il lui retira une oreillette de l’oreille et demanda, tout grand sourire –pour mieux attendrir xD.

« S’cuse moi de te déranger, mais tu pourrais me dépanner d’une cigarette s’il-te plaît ? J'ai oublié les miennes.»

Demandé si gentiment…Ça serait cruel de refuser, non ?