Le garçon assis là fouillait un autre manuel dans cette langue qu’il ne comprenait toujours pas, tournant les pages rageusement. Tous ces filtres et ces contrôles parentaux sur son Mac, il en pouvait plus, il lui fallait comprendre l'anglais. Il. Voulait. Sa. Pr0n.

Lukasz tenta de déceler des mots compréhensibles. Du polonais ferait son bonheur, du russe le dépannerait. Pourtant, il avait tout de suite reconnu Varsovie sur la couverture du manuel qu'il feuilletait. C’était là surement encore un de ces bouquins idiots pour touristes américains. Précisément à cet instant, il maudit ceux qui eurent la brillante idée d’offrir aux parents d’élèves de maternelle le choix entre trois langues secondes pour leurs enfants. L’anglais dans les circonstances aurait été plus que préférable. L’allemand, déjà plus semblable à cette dernière, n’aurait pas été mal non plus. Mais le russe…

Il se mit à rager contre le bouquin, grognant, le refermant presque violement, accompagnant le tout de jurons polonais. La même dame qui plus tôt avait réveillé le grand endormi au mohawk vint l’avertir dans un anglais visiblement snob, ce qui irrita Lukasz au plus haut point. Il n’était pas visible qu’il ne comprenait que dalle et qu’il cherchait à apprendre la langue???

Là par contre, il en avait plus qu’assez. Cela faisait des jours que les gens se foutaient de sa gueule comme ça et ne tentaient pas de l’approcher, mais plutôt de le réprimander. Bien sûr que non, bien non…ils ne cherchaient pas à comprendre, en aucun cas! Il était un autre de ces gamins délinquants…! Il était impossible d’ailleurs que quelqu’un dans se monde ne comprenne pas l’anglais. Ces américains et leurs idéaux! Ils ne sont pas les seuls dans ce monde de fou!

« Vieille vache! Dégage avant que je te bousille virtuellement l’existence! J’vais installer des caméras chez toi et montrer ta chatte puante au monde entier! » murmura-t-il entre les dents, furibond.

C’était la première fois depuis son arrivée qu’il répliquait à quelqu’un. Le reste du temps, il s’était contenté de tourner les talons et s’en aller, perplexe, mais là, il en avait plus qu’assez.

La dame le dévisagea une fois de plus, comme si elle se demandait ce qui lui prenait de lui parler dans cette langue étrange. Un rire sarcastique se fit entendre. Le blond ne savait pas s’il avait plus envie de rire ou de pleurer de la situation qu'il était en train d'expérimenter. Pour la seconde fois, il se retourna vers la femme. Qui sait, peut-être comprendrait-elle le russe? Il rajusta donc son tir, tout aussi furibond.

« Toi pas comprendre vraiment hein, pas gentille? » dit-il relativement calmement, quoique son ton demeurait cassant, le tout accentué par la langue des Tzars.

« J’aurais aimé que toi comprendra…au moins j’aurai pu meuh marré voir réaction, grosse vache Méchante! » dit-il, après quoi il laissa les bouquins là où ils étaient et trop fâché pour continuer ses recherches, il se dirigea lui aussi vers la porte, son portable anti-porno sous le bras, le cœur serré. Sérieusement, il en avait marre d’être isolé de la sorte à cause d’une toute petite différence de langue.

Dans sa trajectoire vers la sortie s’interposa une armoire à glace. Le gars qui dormait était dans son chemin et il se butta dedans sans faire exprès. Hargneux, il releva les yeux vers lui et siffla méchamment entre les dents :

« Toi aussi moi vais tuer. Comme eux, méchant! » dans un russe quand-même bien articulé, quoique chaotique avant de passer son chemin.

Décidément, cette grosse brute non plus n’avait rien compris, même s’il n’avait rien vu de son expression. Il était évident qu'il n'avait pas compris. Pff.

- Da za-ebees, ils sont tous méchants.

Si un peu plus tôt il était encore dans sa bulle comme la plupart du temps, une immense barrière venait de s’effondrer et il en entendait même le macabre bruit dans sa tête, l’immobilisant du moindre cheveu fou à la pointe des orteils. Ce mec…lui avait parlé russe?

Noooon. Il devait rêver, il ne pouvait pas avoir COMPRIS quelque chose.

Pourtant, le grand dormeur n’agissait pas comme quelqu’un qui n’avait pas compris ce qu’il disait. Un mec dans la même situation que lui? Était-ce possible ?

En effet, il baissa le poing qu’il était pour lui abattre sur la figure quelques secondes plus tôt et son visage s’illumina en quelque sorte. Lukasz sauta intérieurement un plomb. Sa voix intérieur lui explosa les tympans, c’est tout juste si son cœur n’arrêta pas de battre quand une folle envie de se mettre à danser lui prit. Quelque chose en lui disait qu’il devait plus souvent sauter des plombs, qu’il réussirait probablement des trucs biens à ce rythme la.

Il ne pu que suivre le grand blond du regard quand ce dernier fit quelques pas vers la bibliothécaire.

- Irais-tu te rouler dans des excréments avant de venir travailler demain ? L'odeur serait moins atroce.

Quelqu’un, amenez un prêtre, c’est ici que se déroule le mariage. Lukasz Koczorowski, voulez-vous prendre Monsieur l’Endormi pour époux? *OUI!! JE LE VEUX!!!!!!!!!*

Son regard ne lâcha pas d’une semelle son nouveau traducteur/sauveur. Ne serais-ce qu’une relation hostile dans une langue qu’il comprenait, en autant qu’il comprenne. Puis cette façon dont il avait d’envoyer au diable ceux qui le méritaient…C’était de toute beauté. Même dans la plus totale hostilité (non, il n’est pas pessimiste…) il saurait l’apprécier et le respecter. Dans l’entente? Surement aussi.

Sur le visage de Lukasz s’afficha un sourire. Il était hors de question que ce soit un sourire hautement joyeux ou ne serait-ce que de trop grande envergure. C’était un sourire tout à fait méchant envers la vieille vache, mais à la fois complice et satisfait de sa trouvaille. Le sourire d’un geek qui retrouve son deck de Magic préféré.

…qui sait, peut-être l’aiderait-il à retrouver sa pornographie?

Le polonais le suivit sans faire d’histoire quand ce dernier se dirigea vers la sortie et lui fit signe de le suivre. Il n’attendit pas de se faire tenir la porte non plus, mais reste que son pas, malgré ses jambes plus courtes que celles du grand type, était inévitablement plus lent.

Il trottina jusqu’à sa hauteur, son portable contre lui.

« Ton sauver ma vie. J’ai assez de pas comprendrer rien de personne. » avoua-t-il en toute sincérité.

Son sourire s’élargit en repensant aux mots de l’inconnu.

« Se rouler dans les pas bon odeur…Pas mal! » dit-il en se passant une main dans les cheveux, bégayant légèrement les mots dont il n’était pas certain. En espérant qu’il le comprenne malgré ses fautes…

Après avoir fait un signe de tête, Kyril ne se retourna pas pour voir si l'autre suivait. Peu lui importait vraiment. Le Russe ne savait même pas pourquoi il avait été à la défense de l'inconnu. Le fait qu'il parle russe pouvait être un leurre. Un Américain qui voulait s'attirer la sympathie... Le sixième sens du gangster ne semblait pas l'avertir d'un danger. Quoique, la dernière fois qu'il pensait être en sécurité, des agents de l'Interpol l'avait intercepté.
Il ne fit pas trois pas hors de la bibliothèque qu'il se rendit compte que l'autre l'avait suivi. Pendant un instant le Russe se demanda s'il n'avait pas attiré un boulet fini qui allait s'accrocher à ses basques jusque mort s'en suive. La phrase en tentative de russe que lui lança l'autre lui fit hausser un sourcil.


*Ton sauver ma vie... Quoi ? Mais c'est quoi ce charabia ? ... Pas compr... Aaaaah !! Il n'est pas du coin.*


Kyril se doutait fortement que celui qui trottinait à ses côtés n'était pas Russe. Son accent était horrible. Peut-être un Ukrainien... nhan. Un Estonien ? Un Letton... Ah puis zut. Il n'était pas très bon avec les origines de toute façon. Il a toujours cru que Natalya venait de Russie alors qu'elle était Biélorussienne. Il n'avait d'ailleurs toujours pas compris ce qu'était la Biélorussie. Une fausse Russie ?


*Bon il baragouine encore quelque chose...*


Le Russe compris à peu près ce que l'autre venait de dire.

- T'es pas Russe toi hen ?

Kyril se stoppa net et fixa l'autre. Il le détailla de la tête au pied. Puis une idée germa dans son esprit. Peut-être que ça marcherait...

- Moi, je peux t'aider.

Kyril fit de son mieux pour bien articuler et fit même un geste de sa poitrine vers celle de celui qui allait maintenant devenir son nouveau protégé. Au sens de la Mafiya bien sûr. Le blond n'avait pas un Étalon de tatouer pour rien. Il l'avait mérité ce tatou et comptais bien démontrer à tous que même s'ils l'enfermaient ici, les lois des Vory dominaient sa vie et que jamais il ne trahirait les lois auquels il avait adhérer. Les étoiles sur ses genoux lui rappelaient constamment ce fait. I bow to no men. S'il ne se retenait pas, le Russe rigolerait d'un rire sadique. Contenant son envie de rire comme un professeur de science fou il ajouta :

- Moi Kyril. Toi ?

Oh, éh! On le prenait pour quoi encore? Un écureuil? Un furet? Un idiot, un homme des cavernes, un Kirby?

Moi Kyril. Moi mâle. Huba huba! Hurrrr…Merci de votre prestation, monsieur Neandertal. Au suivant.

« Pas stupide, je parlais un petit peu. » dit-il, presque vexé, les joues rouges en serrant son portable.

En espérant que le message soit passé pour les prochaines fois. Tsk.

« Je suis polonais…Lukasz Kaczorowski. Je…j-je… zrewidować?...Cherche! Cherche… Un livre pour apprendre la anglaise. Tu peuve aider un autre fois? » demanda-t-il tout en tentant de garder son calme face au grand dadet. Son visage n’était pas particulièrement enthousiaste, mais il faisait un effort. Se faire prendre pour un c** était bien une des dernières choses qu’il aimait qu’on lui fasse, même s’il était parfaitement au courant qu’il ne maîtrisait pas aussi bien le russe qu’il aurait dû. Il ne lui demanderait qu’un livre comme de toute façon il n’était pas certain d’avoir envie de s’entendre avec lui.

Il regarda longuement Kyril, de haut en bas, le trouvant malgré lui plutôt…bien fait? Attirant? Non pas qu’il avait envie de le draguer, bien au contraire en fait, mais que l’inconnu dégageait un certain charme qui ne le laissait pas indifférent. Sa coupe de cheveux l’intéressait beaucoup entre autre, mais ses oreilles étaient trop fournies à son goût. Son style vestimentaire était tout à fait déplorable aussi, mais les tatouages sur ses bras lui allaient bien. Le tout mis ensemble le rendait bien particulier…

Bon, ça y est. Le voilà qui devait avoir l’air d’un gay en quête d’un mâle à le regarder comme il faisait là. L’européen releva les yeux bien vite, ne voulant pas se tourner en bourrique davantage. …HOA! Ses yeux..! Des lentilles, visiblement, mais c’était hypnotisant de le voir ainsi.

Le quittant finalement du regard pour de bon, il se concentra sur la première chose qu’il trouva, un vase ultra quétaine dans lequel se trouvaient des fleurs séchés. Comme s’ils avaient vraiment besoin de ce genre de décoration de mauvais goût.

Le malaise demeurait. Il devait trouver quelque chose à dire.

« Tu es de Europa? » demanda-t-il, légèrement bégayant ce qui dans sa langue n’arrivait jamais. Seul le russe rendait sa parole incertaine comme il le connaissait moins.

Réflexe, sa main se passa dans son cou et il se mit à jouer avec l’une des deux vis de métal qui sortait de sa chair. Pour des raisons obscures, ce geste avait le don de le calmer, semblable à un tique nerveux. Il n’espérait plus que l’autre ne le prenne pas pour un c** une deuxième fois et qu’ils puissent au moins tenter de trouver un terrain d’entente pour le bouquin comme il lui avait proposé son aide. De toute manière, ce n’était pas pour aujourd’hui qu’ils rentreraient dans cette partie du centre Teenagers avec ce qui venait de se passer avec la bibliothécaire, donc si les choses tournaient au vinaigre, tant pis. Il trouverait une autre solution…

Nerveux tout de même, il reporta son regard vers le jeune homme, attendant sa réponse.

*Pas stupide ? Tu en as l'air*

Les pensées méchantes de Kyril ne franchirent cependant pas ses lèvres. Ses suspicions venaient cependant de se confirmer : ce type était un boulet. Lorsque sa nationalité fût déclarée, Kyril faillit exploser de rire. Un polonais. Maintenant c'est hors de tous doutes : ce... Lukasz devait vraiment être un boulet. Tout le monde sait que les Polonais sont idiots. D'ailleurs Kyril se rappela d'une vieille blague sur les Polonais :


Savez-vous comment les Allemands ont conquéris si rapidement la Pologne ?
Ils marchaient à reculons et les Polonais ont cru qu'ils s'en allaient


Et ça ce n'était qu'une parmis les centaines de blagues sur les Polonais qu'il connaissait. Donc, disons que de ne pas le prendre pour un idiot allait être difficile.
Cependant, il fit un effort monumental. L'autre demandait son aide. Kyril réfléchit. S'il l'aidait il pourrait trouver un prétexte s'en aller et ne pas devoir lui servir de traducteur. Qui sait, s'il enfuyait, peut-être que l'autre le pourchasserait. Il devrait alors lui casser la gueule, se ramasser devant le directeur. Non c'était trop d'ennuis pour rien. La solution la plus simple était de rentrer dans la bibliothèque, trouver son stupide livre, lui donner et s'en aller. Voilà, c'est ça qu'il ferait.

Le silence planait depuis un bon moment entre eux et Kyril hésitait à parler. L'autre s'était présenté, il devrait bien rendre la pareille, non ? Avant qu'il n'ouvre la bouche, le Polonais bégaya autre chose. S'il venait d'Europe ?

- Da. Je viens de Russie. Je m'appelle Kyril.

Quel exploit ! Une des plus longues phrases que le Russe avait dit depuis son entrée ici. D'habitude il répondait par monosyllabes. De plus il avait même donné son nom à l'autre. Mettons un X sur le calendrier. Kyril ne savait pas trop ce qui l'avait pris, mais bon.

- Je crois avoir vu un dictionaire anglais-russe dans la bibliothèque.

Ce n'était pas justement un des bouquins qui lui avait servi d'oreiller un peu plutôt ? Le blond fit demi-tour et retourna en direction de la bibliothèque. Ouvrant la porte avec détermination il lança un regard de défi à la bibliothécaire. Un qui voulait dire : essaie de m'empêcher d'entrer juste pour voir. La dame se ratatina sur elle-même et retourna derrière son comptoir. Le Russe retourna à l'endroit qui était presque devenu son repaire. Sur la table il vit en effet le livre sur les macareux, les mangas et... tadam ! Le fameux dictionnaire anglais-russe. Pointant le livre au Polonais, Kyril s'adossa à l'étagère la plus près, surveillant les réactions et gestes de Lukasz.

Spoiler:

Son attitude était étrange…bien trop étrange pour que Lukasz puisse réellement l’apprécier. Tout d’abord, il y avait eu cet éclat indéchiffrable dans ses yeux qui ne lui disait rien de bon, puis il lui parlait de façon presque sympathique. Soyons réaliste, les mecs de sa trempe n’étaient PAS sympathiques, à moins de vouloir quelque chose bien sûr. Mais qu’est-ce qu’un mec comme lui pouvait bien vouloir de lui…

Paranoïa. Il fallait sincèrement qu’il arrête de jouer à des jeux vidéo violents avec des histoires de Mafiya. Il finissait par en voir partout.

Puis le grand blond l’emmena à la bibliothèque et lui pointa le bouquin. LE bouquin, bordel. Pourtant, même si son cœur battait à la chamade tandis que l’écriture russe lui était compréhensible et qu’il avait par-dessus tout envie de hurler de joie, il resta bien calme devant le colosse, saisi le bouquin et fit demi tour.

« Merci, remmeterais ton aide, Kyril. » dit-il sans vraiment de cohérence tout en se comprenant pourtant très bien. Pas qu’il n’aimait pas le russe, mais que sa présence le dérangeait profondément et malgré le fait qu’il tentait d’être agréable, il n’y parvenait pas.

Mais pourtant, autant il avait envie de fuir, autant il avait envie de le connaître.

Toutefois, en bon geek que Lukasz était, il dû absolument, totalement procrastiner et ce fut dans un bref geste de tête qu’il s’éloigna, sortit de la bibliothèque et emporta avec lui le bouquin, son regard trouvant bien vite d’autre chose que Kyril à regarder. Tiens, un petit boutonneux…

Son portable toujours dans une main, il réussi à ouvrir le livre alors qu’il marchait vers des horizons qui lui étaient inconnus à travers l’institution. C’était un dictionnaire et non une grammaire…la tâche allait être hardie, surtout pour les verbes et les structures des phrases. Mais avec du vocabulaire, même si son russe était lui-même limité, il réussirait sans doute à en venir à quelque chose d’acceptable.

Lukasz ne pensait déjà plus à son sauveur qu’il avait pourtant laissé en plan. Son attention était entièrement dans l’apprentissage de la langue anglaise, même s’il n’y comprenait que dalle. « Engine… » ça se prononçait comment? La phonétique était écrite à côté, mais encore aurait-il fallu qu’il sache se servir de ce précieux outil. E-et…pas d’accents?

Bien vite, il abandonna cette méthode la et repartit en direction de la bibliothèque le reporter. C’était inutile de tenter de s’y prendre de cette façon la.

Il bougonna un peu en polonais, la dame le regardait très étrangement encore une fois.

« Je te le rend, ton bouquin. Contente? » dit-il, las.

Si ça continuait comme ça, cette dame allait devenir sa confidente contre son gré, et ce même si d’un point de vue extérieur, elle ne percevait de lui qu’un type qui parlait une langue blizzard en changeant quelques fois d’expression. Le paradis, en gros. Tout ce dont il avait toujours rêvé.

Devant le pathétique de la chose, il ressorti de la biblio, ignorant encore une fois le grand blond. Ouais…il avait bel et bien décidé que le contact s’arrêtait maintenant et là entre eux.