Certaines personnes s'amusent à dire que la vie n'est pas toujours facile, souvent quand un petit malheur leur tombe dessus, un inattendu : Une voiture en réparation, un enfant avec moins de C à l'école. C'est ce que l'on qualifie de nos jours de "difficile". C'est vrai que cela me semble dramatique. Si j'avais une petite vie bien rangée, je voudrais pouvoir tout contrôler. Enfin, je ne pourrais me passer de dominer, peu importe où je suis, peu importe où je vais et ce que je suis. Mais, les faits étant ce qu'ils sont, les gosses et le labrador, je n'y ai pas droit. Je n'en veux pas, sauf pour berner mes futurs électeurs. La politique, ça me plairait, c'est sûr mais mon casier me reviendrait dans la gueule alors autant continuer à dominer mon petit monde ici. De toutes manières, ce n'est pas comme si je pouvais décider de partir. Aujourd'hui, les souvenirs remontent et s'échauffent, Robin hante mes pensées, lui et son sourire bad-ass. Il me rappelle que j'étais autre chose qu'une boule de haine et m'encourage à le rester. Mon cœur le demande, il me supplie d'accepter à nouveau quelqu'un dans mon cercle de confiance mais je le rejette, j'ai peur. La faiblesse n'ait pas de mon monde. Elle ne le sera pas tant que je n'ai des sentiments uniquement pour moi-même. Ce soir, c'est difficile et n'importe qui fera l'affaire. Si l'autre petite c**** de Cantarella trouve drôle de peindre mon lit de bleu et de me faire une réput' de lesbish dans tout le comté, tant mieux. Ou plutôt tant pis et si je ne pouvais lui mettre sur la gueule, autant se la mettre. Ou tout au moins, tremper ses lèvres dans un breuvage plus secouant que l'eau dégueulasse du robinet.

La cave remplie de bouteilles en bas, elle connaissait même si elle faisait en sorte de venir s'approvisionner le moins souvent possible. Depuis que les militaires avaient découvert l'endroit, plusieurs venaient régulièrement se servir dans les grands crus du manoir. Il arrivait qu'ils refournissent les stocks mais jamais avec la même qualité. Boulot de chien, êtres humains à jeter au chiotte, pas étonnant qu'ils achètent de la m*rde. Si elle pouvait s'en faire un... Elle devait se contenter de les brosser dans le sens du poil et de semer leur chemin d'embuche sous les ordres de l'araignée alors qu'elle rêvait juste d'enfoncer ses phalanges dans leur face présomptueuse. Bien évidemment elle ne pouvait pas si elle voulait continuer à tromper son petit monde. Les mots, juste les mots, ils sortent toujours victorieux. Qu'ils rendent Serena glorieuse et ses petits poings resteront sages. Damn, la serrure était déverrouillée. Que devait-elle faire? Repartir? Cela semblait une bonne idée, il y avait sûrement un membre du personnel là dedans. Mais quelque chose dans ce mécanisme d'ouverture qu'elle connaissait si bien la tracassait. Ce n'était pas comme d'habitude, alors elle s'éloigna un peu dans les galeries souterraines en gardant la porte en vue. Deux minutes passèrent, rien. Quelqu'un avait installé son campement dans la cave ou quoi? Elle estima l'attente suffisante et s'avança à nouveau vers la porte qu'elle ouvra.

"LA PORTE!!!!"

Trop tard. Serena jeta un coup d'œil à la jeune fille affalée non loin, c'était une nouvelle arrivante, mademoiselle Lolth. Sans plus prêter d'attention à elle, Serena essaya d'ouvrir la porte qui refusait de craquer. Bon, pas de panique, autant se servir et ensuite essayer de forcer la porte, chaque chose en son temps. Mais la présence de l'adolescente la dérangeait : elle ne devait pas être vue même par une résidente. Et puis fuck, elle était en bas de la chaîne alimentaire et elle semblait déjà bien éméchée, elle ne se souviendrait peut être même pas de l'avoir croisée.

"Sup Gurl, je t'annonce qu'on est coincées ici… Tu veux une gorgée?"

Rhodes s'avança vers les étagères où s'enfilaient les bouteilles. Une gorgée? Serena se retourna à nouveau vers le déchet humain non loin. On ne pouvait pas dire qu'elle était repoussante. Sa peau lui rappelait le pain chaud et son corps ne s'était pas privé de pousser juste où il fallait. S'arrêtant de mater, elle reprit ses affaires en ignorant superbement la bouteille de Vodka et sa propriétaire.

" Moi c’est Mina by the way… et si la vodka c’est pas ton fort, tu as du vin en massseee ahaha!"

Serena serra les dents, les gens joyeux c'est pas son truc. Ca vous met en confiance et ça vous tord le cou. Elle ne pouvait déjà pas la supporter. Et puis c'est quoi ces manières amicales? On est pas chez les Bisounours ma grande. Le masque, le masque, toujours le masque, celui qu'elle doit garder constamment en place. Il faut lui apprendre le respect dû aux anciens.

" Oh super t'as trouvé de l'alcool fort! Moi c'est Serena, enchantée."

Elle lui avait souri pendant toute la manip', s'était approchée d'elle pour lui prendre la bouteille des mains, elle avait fait mine de boire avant de la laisser tomber volontairement au sol, aux pieds de la jeune dévergondée.

" Ooooops, ça m'a glissé des mains. "

Sans plus un sourire, elle retourna à ses affaires.

C'était de ces soirs! La bouteille de vin qu'elle convoitait avait disparu, sûrement emportée par un de ces singes de militaires, peut-être était-ce Hoffman d'ailleurs. Et comme cela ne suffisait pas, son jugement partait en vrille, la mettant sérieusement en danger. La jeune fille affalée dans un coin de la cave, sûrement dans une flaque d'eau devait avoir sa culotte toute mouillée, rien que sa posture et son attitude lui avaient chuchoté que ce n'était d'un déchet, embrumé par l'alcool. Et si elle était juste différente? Impulsive, expressive, communicative. Son esprit n'avait pas encore été bridé par les règles tacites de l'institut et, gamine, elle semblait vivre cette expérience comme une année au pensionnat, prête à rencontrer de nouvelles copines et à leur faire des tresses le soir, autour d'une bonne cigarette. Une fois de temps en temps, elle enfreindrait les règles pour gouter aux interdits : herbe, alcool. Elle devait connaître mais semblait apprécier puisqu'elle en voulait encore. Petite fille à papa? Serena en doutait vu ses accoutrements habituels, sa manière de se comporter. Serena, en fine observatrice l'avait longuement regardé depuis son arrivée. Elle l'avait vite classée parmi celles qui en ont que pour frimer, sans éducation, une petite délinquante de base en somme, sans but, sans idées. L'erreur étant humaine, même Serena se trompe, même si elle ne l'accepte pas et se trouve toujours une excuse. La raison pour laquelle elle s'était gourée au sujet de mademoiselle Lolth? La quantité d'alcool qu'elle avait ingurgité bien sûr. C'était bidon comme raison puisque Serena s'était déjà fait une idée sur la jeune femme avant de la croiser dans la cave mais elle se raccrocha à cette idée avant de se ressaisir. Parce que, si elle ne cilla pas quand la bouteille siffla à côté de sa tête, ses membres s'étaient perceptiblement tendus. Elle ne savait pas si Karmina avait raté sa cible volontairement ou si elle ne savait simplement pas viser. Avec la force qu'elle y avait mis, le verre aurait fait de sérieux dégâts à la tête parfaite de Miss Rhodes qui se retourna sur l'apprentie lanceuse de poids, une lueur nouvelle dans les yeux. Devait-elle la craindre? Elle se retourna, écoutant son laïus.

Serena grommela : "Monte pas sur tes grands airs" sans se faire entendre ou presque. La jeune fille n'avait pas tout à fait tort mais elle était encore loin, très loin de savoir réellement. Et puis sa pseudo-découverte n'ébranla en rien Serena qui ne redoutait pas le sang chaud des gens du Sud.

" Miss, je pense que c'est toi qui n'a pas compris, ça n'a rien à voir avec de l'hypocrisie ou avec tous tes putains de saints, juste : tu viens me faire chier alors que je suis dans un de mes mauvais jours, recommence pas, t'es rien ici. "

Pour réponse elle obtint un beau doigt d'honneur, dans toute la splendeur de sa vulgarité. Serena ricana avant de se diriger vers la porte, sa bouteille à la main. La porte qui ne céda pas. Elle essaya encore, sous le regard certainement très très moqueur de Karmina. Serena se retourna vers la jeune fille avant de venir poser sa bouteille entre ses jambes. " Je suppose qu'on a pas le choix. " Elle tira de toutes ses forces sur le bouchon de liège qui par chance dépassait un peu du goulot de la bouteille de vin blanc que Serena s'était choisie.

"On partage, on trinque et on oublie"