Serena ne dort pas beaucoup. Le sommeil, c'est pour ceux qui ont du temps à perdre et même s'il y a beaucoup de temps à tuer dans cet institut, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Surtout il y avait ce gars qui ronfle un peu trop fort dans son dortoir. On dirait pas comme ça, mais cela joue beaucoup! C'est ainsi que Serena se retrouve à traîner dans les couloirs à espionner les allers et venus des quelques résidents éveillés et des militaires. Surtout ceux des militaires en fait. Elle l'avait déjà remarqué, c'est l'heure de leur ronde et avoir une idée du schéma  de leurs déplacements pourraient être très utiles, que ce soit pour ses virées nocturnes ou pour l'armée du KO. Elle devait encore faire ses preuves alors autant ramener au QG des éléments tangibles et utiles, d'autant plus qu'ils seraient le fruit de sa propre initiative. Et puis autant se dire que l'idée qu'Andrews la félicite personnellement ne la rebutait pas non plus. Dès le matin, elle se perdait dans des pensées qui ne devaient pas être. A voir ces mots, nous pourrions dire qu'elle ne pense qu'à ça mais vous vous trompez. Juste, elle sait s'amuser. Et une autre personne avec qui elle aimerait bien passer un peu de bon temps venait de passer à quelques mètres d'elle. Cette personne se prénomme : Capitaine David A. Hoffman, militaire et responsable du cas de la jeune fille depuis que les portes de l'institut s'étaient ouvertes aux militaires. Par principe, elle le dédaigne et refoule profondément l'attirance qu'elle éprouve envers lui. Grand et finement taillé, l'uniforme, s'il mettait en valeur son anatomie svelte et athlétique, ne trouvait pas grâce aux yeux de Serena habituellement. Mais aujourd'hui, c'était différent et elle décida de le suivre car plus pour son propre intérêt que pour la guêpe, connaître les petites habitudes de son tuteur à son insu pouvait être diaboliquement helpful.  Un vice? Une conquête? Tout était bon pour garder la pression. Personnellement, elle n'avait rien contre lui mais c'est le jeu ma pauvre Lucette.

Hoffman passa par les dortoirs ainsi que les pièces principalement occupées à l'accoutumée par les résidents avant de se diriger vers les escaliers qui menaient au sous-sol. Intriguée, Serena se demanda s'il était habituel que les militaires finissent leur ronde dans ce coin là de l'institut. Si c'était le cas, elle ne l'avait jamais remarqué et s'en inquiétait. Les galeries étaient un de ses nombreux refuges, à elle et à ses petits amis, parfaites pour garder ses petites combines secrètement enfermées entre leurs murs. Voilà qu'il y mettait les pieds. Serena s'arrêta pour écrire sur un papier le trajet de la ronde de David ainsi que l'heure à laquelle il avait visité chaque lieu. Quelques secondes plus tard, elle le suivait dans l'escalier. Au bout de quelques secondes, elle comprit que ce n'était pas les galeries qu'il avait l'intention de visiter mais bel et bien la cave à vins. Un sourire narquois s'étala sur ses lèvres. Ainsi il était un de ceux qui volaient les grands crus qu'elle affectionnait temps. Est-ce qu'il ramenait de la piquette aussi pour vider les trous? C'était ainsi la fin de sa ronde et son but premier : la picole? Intéressant. Elle s'éloigna dans les galeries, un sourire aux lèvres sans plus faire attention au militaire. Elle ressortit son papier pour y inscrire la dernière escale de monsieur, avançant lentement, perdue dans ses pensées. Elle aurait bien aimé voir quelle bouteille il avait choisi. Enfin, autant ne pas trainer ici.

" Mademoiselle Rhodes…" Il prit une petite pause alors qu’il soupirait légèrement, puis il reprit, "Permettez-moi de vous reconduire à l’étage, il est plus prudent de ne pas venir jouer ici."

Elle ne l'avait pas entendu arriver. Mais quelle imprudence! Baisser sa garde dans un moment pareil... Serena rangea vite papier et crayon dans la poche arrière de son jean en se retournant avec précipitation vers son interlocuteur.

"On n'a plus le droit de se dégourdir les jambes? "

Vite, quelque chose pour se sortir d'affaires, pour le faire dévier du sujet initial.

"Ca ne vous va pas le béret monsieur, vous devriez éviter à l'avenir, cela va faire fuir les femmes cette impression que vous êtes chauve!  "

Une fois sa méchanceté assenée, elle passa devant lui sans plus un regard, le plus innocemment possible.

"Bonne journée. "

Touché de? Touché que je me soucie? Et moi, je dois me sentir touchée qu'il se foute de ma gueule à son tour ou comment ça se passe? Qu'est-ce que cela lui apporte de m'enlever, de nous enlever à nous tous, les résidents asservis, notre petite illusion de contrôle? Pourquoi me montrer ouvertement, de sa petite réplique ironique, que rien chez nous, nos actes, nos paroles, notre façon d'être, ne peuvent les toucher. Parce que c'est pas tout de se penser supérieur, on agit aussi en tant que tel. Vous êtes la vermine, nous sommes rois, c'est pourtant si simple. On agit dans l'ombre avec intelligence et vous n'êtes bons qu'à faire des rondes. Pourtant il y a cette suffisance qui transpire de tes paroles et malgré ta petite gueule d'ange, j'ai juste envie de t'en mettre une. Ton uniforme trop bien repassé, tes rangers si brillantes tellement tu les cires et ton petit béret porté bien droit, tout ça m'agace, même pire : m'insupporte. Mes paupières se froncent, la suite tombe. Ce petit "tu" noyé dans une mer de vouvoiement qui me fait crisser des dents. Pire que si toute la phrase avait été dite à la deuxième personne du singulier. Ca montre que ce que l'on pense est vrai. Le respect qu'ils nous montrent n'est qu'une façade puisqu'ils oublient de le montrer à chaque fois qu'ils sont distraits. Pfff, de plus, il lui en fallait si peu pour se départir de sa superbe. Je ne peux pas aller jusqu'à dire que j'avais un peu d'estime pour lui, ce serait contraire à mon "mojo" mais ne pas dire que je l'apprécie un peu serait un peu hypocrite alors je préfère assumer même si ça ne veut rien dire et qu'en ce moment même j'étais au bord de la crise de nerf. Ce qu'il avait construit avec moi il le détruisait pas de simples petites maladresses. C'est triste, j'ai appris à ne plus pardonner...

" Je-je, vous-vous... voudrais.. fou-foutre... -ma gu-eule..." bafouillais-je. Il faut dire que ça n'aurait jamais du sortir et alors qu'une partie de moi œuvrait pour garder le contrôle, ma rage avait pris le dessus, elle qui sortait si rarement. Et la fois où cela arrive, ça donne un gros fouillis incompréhensible. Heureusement me direz-vous sinon j'aurais sûrement écopé d'un blâme. Et si je reprends mes esprits suffisamment tôt pour ne pas virer au rouge. Je réfléchis à pleine balle pour trouver une solution pour me sortir de là, Serena, la légendaire jeune fille impassible. Lui mettre un coup dans les pattes et courir de toutes mes forces? Se taire et le suivre dans les escaliers? Ce serait lui donner raison, jamais. Alors la solution qui me colle le plus, c'est celle où j'en tire quelque chose. Et maintenant que j'ai l'air d'une pauvre fille désespérée, en tirer parti, si l'oiseau en face de moi se laisse faire, peut s'avérer facile. On m'a toujours dit "Reste près de tes amis et encore plus de tes ennemis." Alors je garde cette mine déconfite sur mon visage devenu en un instant si frêle. Je lève les yeux vers le regard sans doute interrogateur du militaire dans une moue chagrine.

" Je vais remonter. " dit-elle alors qu'elle se dirige vers les escaliers. Jouant la comédie à merveille, elle se retourne le visage d'un coup illuminé, une demande à formuler sur les lèvres. " J'ai vu que vous alliez vers la cave à vins, je peux venir avec vous? Je me suis toujours intéressée aux vins même si ça me fait beaucoup penser à ma famille... Mon père voulait être sommelier quand il était jeune vous savez... " C'était un beau tissu de mensonges, enfin, elle aimait réellement les vins et s'y intéressaient réellement avant que dans la famille, ça soit la débandade. Enfin, cette cave, elle savait comment y pénétrer, elle n'avait pas besoin de lui. Mais l'expérience devrait se révéler intéressante, enfin s'il se défroisse un peu et prend pitié.