"Jo-yeux anniiiveersaiiire... Jo-yeux aaanniiiveeersaiiiire..."

Un pas conquérant qui foule son royaume. Les regards qu'il croise coulent sur son corps. Il les remarque à peine. Chantonne pour le bébé bien au chaud dans son lit. Caresse la porte froide comme il toucherait son ventre. Il chantonne à voix haute dans ces couloirs familiers. Se dirige vers la buanderie un sac de sport à la main. Confiant. Arrogant. Ce détestable sourire découpé sur ses lèvres. Le pétillement glacial de ses yeux bleus ciel d'hiver. Le corps élancé qui vient de se prendre un coït de plus. Sur sa langue subsiste le goût d'une victoire chèrement gagnée. Mais il aime que ça craque avant que le chocolat fonde. Et mâchonne une barre de sucre d'une main encore chaude. Chaude de sa caresse à lui. Sur le bas de sa chemise une goutte à peine sèche. Marque blanche sur le noir.

"Jo-yeux aaaaaaaanniiiiveeersaiiiire mon petit poussin..."

Il jette le plastique tâché par terre. Ouvre la porte

"Joooooyyyyy"

Descend les quelques marches en bois. Prend son pieds à faire trembler l'escalier.

"Yeuuuuuux"

Inspire avec dégoût cette odeur propre. Toussote des fragments de lessive dispersés dans l'air.

"Aaaaaaaaaaa"

Le bourdonnement des machines qui lui vrille ses temps. Comme une sirène d'alarme dans un pseudo havre de paix.

"Nniiiiiii"

L'éclat multicolore d'une longue chevelure. Qui commençait d'ailleurs à lui manquer.

"Veeeeeeeeeeeeeeeeeeer"

Un visage qui se tourne, la pommette dessinée. Et ce regard qui le fixe.

"Saiiiiiiiiiiiiiiiiiire"

C'est comme un orgasme quand les yeux lourdement fardés s'écarquillent. Quand Ca le reconnait.

"...."

Doucement. Avec une folie qui lui est propre. Les mains tremblantes d'une excitation qui monte. Jeremiah penche la tête. Sourit un peu plus. Curieux. Stupéfait. De l'aubaine. Du miracle. Du cadeau que lui offre la chance. Et bébé sursaute. Arrache les draps au lit. Pour s'en recouvrir totalement.

Oh seigneur dieu. Oh par tout les seins de cette putain de prison.

Oh Ca alors.

"..... Que vois-je? Que vois-je? Du rouge du bleu du vert. Que vois-je? Une pute trop terre à terre..."

Le sac s'effondre au sol dans un bruit sourd. Et les machines ne couvrent pas le son de sa voix. Et le béton si dur sous ses pieds le solidifie comme un roc. Il halète presque. L'araignée qui vient de trouver une mouche grasse. Au centre d'une toile qu'il n'imaginait pas avoir tissé. Car c'est la cachette de Jeremy. Mais aujourd'hui n'existe pas pour bébé. Bébé s'épargne les encouragements mielleux des psys. Et cette quasi fête improvisée. Celle où s'ébattront des ados en rut au son d'une musique trop violente. Cette quasi fête qui ne sera qu'une foutue orgie de sucre. Et Dieu sait que Jeremiah aime le sucre. Que Jeremiah aime les orgies. Alors pourquoi lui ne pourrait-il pas mieux en profiter. Être le roi de cette foutue sainte journée. Comme si le temps avait une quelconque emprise sur lui. Le gâteau, il pourrait même le savourer sur un certain dépressif mal aimé.

Ca serait pas la première fois.

"Que vois-je? Je suis surement malade. Réveille-toi mec cet arc en ciel est une chimère..."

- Arrête. - Supplie bébé. Son souffle creusant le draps au niveau de sa bouche.
- Arrête. Ne fait pas ça. T'en fais trop. Ne fait pas ça. Et occupe toi -

De ton cul?

Du linge?
Le linge? Quel linge?

Il saute sur une machine en face de Ca. Bat des jambes d'un mouvement quasi hystérique. La lorgne de fond en comble. En fait vite le tour finalement. Il ne peut pas s'empêcher de bander. L'espèce de punk le cul posé sur un vibro cubique le lâche pas des yeux. Et il y a une telle hostilité dans son regard qu'il voudrait gémir. Il chuchote juste:

"Joli tee-shirt en passant. Maya l'abeille le retour? Tu veux séduire Nath avec un dard pré fabriqué? Pas sur qu'il aime les ceintures godemiché. Enfin, t'aurais déjà plus de succès."

-Arrête mais arrête ! Ne brise pas -

Le miroir. Et s'attirer encore 7 ans de malheur. Déjà donné chéri. Déjà fait. Trop tard Jeremy. Bien trop tard. Et tu comptes faire quoi hein? Tu peux faire quoi de toute façon?

Ce qu'elle est belle Ca, quand elle est en rage. Comme une morsure mortelle d'un serpent aux écailles psychédélique. Tellement chatoyant qu'on remarque à peine le danger qu'on court. Fasciné par les motifs arabesques sur son corps tendu. Un arc prêt à le transpercer de flèches. Les ronds noirs des mitraillettes plantées dans ses iris. Un mamba croisé perroquet. Qui lui répétera sans doute les mêmes choses ennuyeuses. Lui la petite ordure qu'elle ne peut pas se saquer. Et elle une vache Milka un poil plus rose que violette. Une sublime plante trop grasse aux miches remplies de lait.

Tant mieux. Il préfère ce mélange à l'amertume du chocolat noir. Et tant pis si ça fait grossir.

Il claque la paume de ses mains l'une contre l'autre. Avec un regard de chiot maltraité. Une petite moue tremblante au coin des lèvres. Qui supplante le rictus amusé. De quelques secondes. Il la fixe avec cette pitié si sincère. Et dans l'antre de son monde l'enfant soupire. Atterré. Car l'autre a décidé de n'en faire qu'à sa tête. Fixant la jeune femme de ses yeux en boule de facette. L'araignée a toujours eu un rythme très disco. Trop clinquant. Vêtement moulant et musique ringarde. Une vie de comédie musicale. Et Jeremiah s'approche comme un patineur. Glissant sur le sol avec des gestes gracieux. Il susurre:

"Oh ma bien aimée, qu'a-t-il fait de toi?"

Il s'approche. Et tant pis si elle recule l'araignée suivra. La plaquera contre sa réalité. Si Aby ne se l'est pas encore prise en pleine gueule. C'est pas vraiment qu'il se fout d'elle. Pas vraiment qu'il cherche à la comprendre. Et à tapoter son épaule d'un air compatissant. Il la trouve stupide mais ce n'est pas la première. Pas la dernière.

"Tu as comme un..." *Les mains à moitié en l'air. Une grimace de réflexion* "Compte à rebours. Là. Dans tes jolies petites iris qui me fusillent du regard. Un tic tac stressant ma douce. C'est triste."

Tu es l'explosion planifiée de Nath. Les immeubles qui se pètent la gueule, bien droit. Sans rien détruire au passage que leur fondation. Un suicide intimiste à la vue de tous. Offerte à l'ignorance désabusée de chacun. Tout le monde s'en fout. Et toi tu fais ta petite fille sage. Tu te tues proprement. En mordant tes lèvres pour étouffer tes gémissements. C'est qu'il faudrait pas emmerder le couvre feu. Que Nath ait bien ses 8h de sommeil. Je le devine dans cette tention dans tes muscles. Dans ce repli stratégique mental que tu opères. Quand je dis Nath tu frémis. Tu sembles cracher ce nom. Un pépin de raisin. Un souvenir délicieux. Le goût sucré encore présent sur tes lèvres. Moi j'ai droit qu'à son sperme.

"Et pourquoi est-ce tu te défends? Pourquoi est-ce que tu le caches derrière ton dos. Tu dis les impuissants. Mais on sait tout le deux ce que ça signifie. Y'a qu'une bite ces derniers temps pour me faire ça."

Il glisse un doigt dans sa bouche. Parcoure la peau du bout de sa langue. Savoure le contraste avec l'ongle de son index. Dur. Qu'il fendille d'une morsure. La douleur l'éveille. Ses iris se contractent. Il la contemple dans sa splendeur rigide. Comme une statue figée dans un musée personnel. Aby prend la poussière.

"Pourquoi hein ma chérie? Tu pourrais me laisser faire. Ce que je lui fais là ce n'est qu'une agréable vengeance. Tu pourrais m'applaudir au lieu de gémir sur son dédain. Parce qu'il t'ignore en ce moment hein? Et c'est comme qui dirait pour ton bien. On vous voit plus trop ensemble."

Voix rauque. Presque en colère. Capable de faire trembler des terres enfouies. Une voix qui ne veut ni bien. Ni Mal. Une voix de vraie. Une voix qui demande. N'attends pas de réponse. Une voix qui a un regard mutin. Une voix qui lèche le papier entourant la barre de chocolat. Qui savoure tout.

"Mais est-ce si triste que ça en vérité?"

Il y a des mots plus solides que les insultes. Et Jeremiah a toujours eu un comportement de masochiste. Sans jouir. Savourant la douleur comme une preuve imparable de son existence. Et la brandissant comme un drapeau sous les yeux de l'enfant. Qui renifle. Qui s'approche à tâtons. Petits pas prudents dans le noir. Une envie de pisser qui lui cisaille le ventre. Tout ces rats angoissés qui lui bouffent les intestins. Font grogner l'intérieur de son être.

"Après tout il m'a suffit d'une soirée. D'une soirée où t'étais collée à lui comme un sparadrap à un gosse. Ca dure jamais longtemps. Ils finissent par les arracher parce que ça les emmerde. Les cicatrices sont tellement plus belles."

Tend la main pour effleurer une mèche de cheveux. Aveugle d'elle. Sourd de ses paroles. Sourire béat aux lèvres. L'allégorie de la sagesse inconsciente.

"C'est pas comme s'il essayait de se faire aider pas vrai? Lui ça lui plait d'être une victime de plus dans ce bordel. Qu'on le fasse pleurnicher sur des épaules offertes. La tienne, celle des autres..."

Il ne peut pas s'empêcher de parler. Comme s'il avait un prompteur en face de lui. Et qu'il débitait une récitation devant toute une classe. Sans ton, sans amertume. Juste le regard écarquillés d'une bête aux abois. Prête à mourir. Folle de ne pas le comprendre.

"Et il me dit jamais non. Parce que ça lui offre une excuse de plus. Il n'est que le pauuuuvre Nathanaël. Et il se fout de ta jolie gueule de canari pépiant dans sa cage. La porte est ouverte mon chou. La porte est graaaaaaaaaande ouverte."

Et il la saisit. La saisit par les bras. La saisit par la nuque. S'accroche comme une pieuvre. L'embrasse comme un érotomane. L'embrasse et déchire sa bouche. Déchire ses lèvres. De sa langue. De sa fausse passion. De sa faute. L'embrasse et rigole. Et rigole quand Jeremy hoquette. Plaque les mains sur son visage. Ne veut pas voir le film d'horreur. Car les baisers de Ca sont mortels. Car Ca ne reste jamais sage très longtemps.

Spoiler:

Tic tac tic tac.

Tic. Tic tac. Tic. Tic tac.

... Tac.

Y'a plus un grain de poussière qui voltige dans les couloirs. Pas un raclement contre la porte. Silence. Les ongles saignent encore. Les yeux exorbités. Juste un effroyable silence. Quelque chose pas très loin vient de faire bang. Un bruit sourd de corps qui tombe à terre. Et sa main qui agrippe la poignée de la porte.

Et ses dents qui claquent. Qui font tic tac.

Un nouveau compte à rebours qui commence. La voix de Ca qui chuchote dans le dédale

Richard.

Tic tic tic tic tac

Je dirais même plus, Oncle Richard.

Le froissement d'une patte contre le mur. Le cliquetis sourd des mandibules de l'araignée. Au même rythme. La bête qui gémit. Qui crisse sa douloureuse satisfaction. Quand les ongles du clown le griffe. Quand il sent la brûlure vivace dans son dos. Sur ses lèvres. Partout. Un baiser acide. Et elle est hideuse. Elle ne se rend pas compte à quel point elle est déjà foutue. Même quand elle le repousse. Et que Jeremiah voudrait rire d'elle. Rire de l'autre côté de sa cage. Pauvre clown condamné à perpétuité. Incapable de faire une croix autrement que sur les murs. Compter les jours où le prince viendra. Dans un siècle de millénaire. Aussi vite qu'une étoile, aussi belle. Aussi insaisissable.

Il rit. C'est un croassement qui se répercute. Un tremblement de terre.

Qui s'affole. Qui augmente. Et c'est comme si le monde intérieur se soulevait de terre. Un volcan en éruption. Une secousse sismique infernale. Assourdissante. L'araignée instable en tombe à terre. Sent l'étau se resserrer autour de sa gorge. Étranglé. Elle ne peut plus respirer.

Plus qu'un corps. Qui se déchire.

Dans un brusque mouvement écœurant. Presque à dégueuler à ses pieds. Il arrache la mue horrible. Et sanglote comme une âme en peine. Les larmes roulant sur ses joues. Ses mains martelant son ventre en coup de poing. Cette odeur de lessive qui l'enveloppe comme les bras d'une mère. Ce cocon chaud qui s'efforce d'être rassurant. Il ne voit rien. Il vient de naitre. Il pousse des cris qu'il étouffe contre le sol. Il arrive presque à se rappeler de son sourire.

Du poids de sa main sur son épaule. Qui lui demande s'il est bien Jeremiah.

Mais non. Non il ne veut plus être Jeremiah. C'est trop dur d'être Jeremiah. On dirait que personne ne l'aime comme il faut.

"T'avais pas le droit... non t'avais pas le droit... t'avais pas le droit... pas le droit..."

C'est tout ce qu'on peut comprendre dans ses murmures. Son balbutiement de gosse de 4 ans. Il tremble comme une feuille. Ne sait pas à qui il s'adresse.

L'araignée en lui se débat dans ses liens. Qui se resserre. C'est plus qu'une poussée. Plus qu'une prise de pas. Une prise de tête. Prise de bec. Un jeu de chiffonnier. Pour de rire, comme avant. C'est une attaque de plein front. Jeremy n'a même pas eu conscience de le frapper.

Il ne l'a même pas vu. Juste entraperçu. Comme un tatouage persifflant sur la peau. Un tour de magie à la Harry Potter. Qui lui fait peur.

Y'a Aby pas loin. Il sait qu'elle s'appelle Aby. Qu'il doit protéger Aby.

Il est juste là. Dans toute sa splendeur pathétique. Maigre comme une brindille fragile. Cassante. Aussi beau qu'un gars comme lui peut l'être. Déchiré par les remords. Les regrets. Le front humide de sueur. Le regard fou de terreur. Les cheveux en bataille. Il vient de subir la tempête. Une quasi mort, un presque suicide. Un échec de plusieurs mois. Emmuré dans un silence volontaire. Battu à mort par ses propres réflexions. Incapable de bouger de son lit. Incapable d'espérer. Seulement d'attendre.

Mais beau.

Beau dans sa victoire. Incrédule. Qu'a-t-il fait? Beau d'avoir osé une seconde. Il entends encore les explosions dans sa poitrine. Son coeur lui pèse lourd. Un poids mort qui s'agite. Qui survit malgré tout. Qui a décidé d'envoyer cet enculé se faire mettre ailleurs.

Personne n'aurait pu prévoir ça.

Mourir?

Est-il réellement entrain de mourir?

Ca ne ressemble pas à ce qu'on lui a apprit. Lui aurait-on mentit? Il pensait accéder à la paix. Mais l'enfer cogne toujours à sa porte. L'enfer semble chaque jour se foutre de lui. Ce n'est pas ce qu'il a imaginé de la mort. Pas ce qu'il a voulu. Mourir serait donc aussi facile que de fermer les paupières. Se suicider ressemble à une clé qui verrouille son repère. Une lâcheté ignoble qui l'écœure. Il relève la tête vers la fille. Ressent de la honte.

Se relève à tâtons. Et murmure.

"Non. Je ne vais plus mourir. Il faut que ça cesse."

Il lève les bras. La saisit aux épaules. Sans lui laisser le temps de le repousser. Ou de frapper le corps encore une fois. Serrant à peine. Sans la secouer. Son regard rivé au sien.

"Toi. Il faut que tu l'aides. Il faut plus qu'on le laisse s'approcher."

Il pourrait essayer. Juste essayer de le sauver. De sauver Aby aussi. La haine qui ronfle en lui comme un feu n'est pas à prendre à la légère. Il faudra plus qu'un verre d'eau pour l'étouffer. Étouffer le rire qui crépite. Le rire incrédule qui se rapproche. Le raclement lugubre de ses pattes sur le sol. Il le sait. Il l'a toujours su. Que sa chambre n'est pas sûre. Qu'il possédera toujours le double de la clé.

Jeremy doit trouver une autre cachette.

Se trouve-t-elle ici?

"Nathanaël."

Le prénom lui écorche la bouche. Comme un relent acide. Il grimace.

"Sauve Nathanaël. Je t'en prie. Aide le. Tu l'éloignes de moi. Tu me pourris. Fais ce que tu peux. Assomme le. Mais ne le laisse plus s'approcher de moi."

Ses lèvres tremblent. Sa voix rauque écorche:

"Je suis vraiment désolé. Aby. C'est bien ça hein? Tu t'appelles Aby. ... Non tu n'es pas un clown. Tu n'es pas Ca. Tu ne l'as jamais été... Et "il" l'est bien plus que toi."

Il baisse les bras. La relâche. Et s'étreint. Un signe d'auto-protection. Conscient soudain du danger qu'il peut être. Conscient soudain qu'il n'y a aucune logique à fermer les yeux. A oublier le temps qui passe. Le temps.

"... Mais quel jour on est?"

Joyeux anniversaiiire Moi j'ai sauté ton pèèèère....
*Claque claque petites dents*
Joyeux anniversaiiiire Retourne en enfeeeeeeeer...
*Tourne tourne petit enfant*
Joyeux anniversaiiire poussin...
*Les petites dents ont bien claqué*
Joyeux anniversaire....
*Tu sembles tout retourné*


Est-ce que tu pourrais REPETER je suis qui MOI hein JE SUIS QUI ???? HA HA HA HA HA HA HA

Il se bouche les oreilles. En gémissant.

Il lui semble pourtant le savoir. C'était quelque chose d'important. Avant.


"Le jour Aby. Dis moi quel jour on est? Quelle heure quel moi(s) quelle année?"

S'engage un duel dans sa tête. Une lutte invisible. La patte accroche la porte. Mal fermée. Surtout ne pas paniquer.

Il l'écoute. Comme un refus sur ses lèvres. Lorsqu'elle le supplie pour une aide. Mais quelle aide peut-il lui apporter? Il ne sait même pas fermer une porte. Il ne sait même pas se révolter.

Mais si c'est le cas pourquoi est-il ici? Comment?

Elle le prend dans ses bras. Il analyse à peine le fait. Trop submergé par son parfum de femme. Par l'affection qu'il sent dans cette étreinte. Cette protection qu'elle lui offre. Une pseudo cachette. Et dans sa tête le silence. Le silence le plus complet. Muet, médusé. Bâillonné. Plus rien d'autres que sa propre respiration. Qui s'apaise. Car pour une fois enfin il se sent bien.

Et finalement c'est un écho. Un écho qui arrive de loin. Un flash back qu'il accouche dans la douleur. Les yeux écarquillés d'horreur. Il se rappelle de quelque chose. De quelque chose qui n'existe pas. Il en est persuadé. Il s'en est persuadé.

---

Il est assit sur une chaise. Il est encore indéfini. Il a le regard figé sur le visage d'une femme. Qui sourit. Et l'appelle "Qui que tu sois". Elle précise "ne le laisse pas te battre". Elle promets "Tu as le droit d'être là. De vivre" Et lui murmure qu'il est.

---

"Jeremy. ... Je suis Jeremy."

31 août. Plus de chanson. Plus de farce. Il ne l'attrapera pas non plus. 31 août. 5 prises de pas. Deux mois avant Halloween. Deux mois avant l'anniversaire de sa rencontre avec Nathanaël. Près d'un an à ne rien foutre, ou presque.

31 août.

".... Et j'ai loupé mon anniversaire."

Et j'ai loupé ma vie.

Mais la vérité le frappe plus durement encore. Quand dans le reflet tordu d'une vitre il aperçoit son visage. Il se voit lui-même. Les cernes sous les yeux. Le teint pâle. Le visage déchiré. Ce putain de regard qui manque de s'éteindre. Et s'embrase. Sous la rage. Tandis qu'il crispe les poings. Se blottit contre Aby. Plus de peur. Juste une révolte. Il crache.

"J'ai grandis... P*tain j'ai grandis et..."

Et l'autre a prit ma vie.

L'autre.


---




Avant de fuir.


---

"Il est là. Dans ma tête. C'est ça hein Aby? Il y a quelqu'un d'autre."

Tout ces déplacements bizarres. Ce temps qui file trop vite. Cette impression d'avoir dormi des heures. Et d'être pourtant si exténué. Ne pas savoir où l'on est. Quand on est. Qui on est. Cette sensation malsaine d'être suivit. Piégé. Observé par des yeux qui rient en silence. Qui se foutent de vous. L'impression d'entendre des choses que personne d'autres n'entend. De sentir des trucs à vous tuer de terreur. A l'intérieur de ta tête. Et ta tête n'est qu'une maison vide. Poussiéreuse. Et ta tête ne t'appartient plus. Tu t'y perds.

"C'est l'autre qui fait tout ça."

Il secoue la tête.

"..... J'ai besoin d'une clope."

Plus d'animal aux yeux larmoyant. Rien d'autre que le jeune homme. Qui se complète à petites doses de souvenirs. Le silence se brise lentement. Un mouvement dans le noir, lent. Prudent. L'araignée ignore qu'il refuse encore de la voir. L'araignée le craint, vraiment. Pour la première fois. Il pose des mots sur un fait qu'il devait ignorer. C'est un premier pas qui entrainera le second. Mortel. Mais Jeremy ne dit rien, pas encore. Il ne formule pas le voeu qui amènera leur destruction. Il se contente de reculer à peine. Les mains encore posées sur les épaules de la jeune femme. Sûr de lui.

Ne prenant même pas la peine de verrouiller la porte. Il sait qu'elle n'osera pas venir cette fois.

Sa main se glisse dans le sac d'Aby. Attrape le paquet de clopes. En sort deux, d'un geste lent. Apportant l'une des cigarettes à ses lèvres. Frôlant celles d'Aby quand il glisse la deuxième dans sa bouche. Le tout sans vraiment la regarder. Des cernes se dessinent déjà sous ses yeux fatigués. Même s'il a l'impression de sortir d'un long coma. Aujourd'hui lui semble une donnée incomplète. Aujourd'hui est si réel qu'il en devient rêve. Il se replace dans l'univers en trébuchant. Mais l'enfant en lui s'est calmé. S'est isolé dans son coeur en s'entourant le torse de ses bras. L'enfant est protégé.

"Jeremy oui. ... Et je ne sais pas depuis combien de temps je n'ai pas..." Geste vague de la main. Il embrase le tabac d'un claquement de doigt. Le briquet déjà disparu au creux de sa poche. Et expire lentement la fumée. Chassant une mèche noire qui se coule sous son oeil.

"Laisse moi juste le temps..."

Une autre inspiration. La fumée roule dans sa bouche. Glisse le long de son oesophage. Digéré par son stress. Une longue minute passe dans un long silence réconfortant. Sans bruit de fond grinçant. Sans rire sans moquerie. Pas même un claquement de dents hystérique. Juste la solitude bienfaitrice. Et pourtant l'impression qu'un morceau manque.

"Voilà. Je ne peux pas l'oublier. Je ne pourrais pas." Ses lèvres se déchirent d'un sourire. C'est tout sauf du bonheur. La fatalité écrase ses épaules. Le force à plier la nuque vers le sol. Un tournesol en automne. Les pétales rembrunit. Mais la mauvaise humeur ne dure pas longtemps.

"Même s'il existe sans doute une solution. Il faut juste que je l'affronte. La solution. Je ne peux pas vraiment affronter l'autre. Je... je ne suis pas encore prêt."

La réalité lui étreint la gorge de ses doigts glacés. Il la sent soudain. Une femme sulfureuse qui l'enchaine. Lui susurre à l'oreille qu'il est déjà en elle. Entrain de ruer. Qu'il ne pourra que ruer pour toujours. Un frisson hérisse les courts cheveux sur sa nuque.

"Ni à l'affronter. Ni à protéger. Et il cherche à faire du mal en ce moment. Je le sens. Je le sais. Sans avoir de souvenirs. C'est un instinct, et je l'entends toujours rire. Quand il parle de lui."

L'éclat d'un regard vairon. La silhouette longiligne et paumée d'un gamin dans un corps d'homme. Un semblable. Qui se tue à petit feu de sa propre manière. Il ne comprend pas pourquoi ce suicide l'atteint autant. Pourquoi aujourd'hui il voudrait lui donner une leçon. Le prénom roule dans sa tête. Rebondit sur les murs. Les syllabes comme une chanson dont il n'arrive à se défaire.

Na tha na ël

"J'aimerais juste rester là et l'éviter. Mais je ne pourrais pas. Toi par contre tu es très proche de lui. Je m'en souviens. Et tu peux...."

La cendre tombe sur son bras. Lui brûle la peau légèrement. Son regard se fond dans celui d'Aby. Adulte isolé et incertain de l'avenir. Il déglutit. Ose souffler:

"Ce serait un cadeau d'anniversaire? Mais ce n'est pas pour moi. C'est pour lui. Je sais que tu as essayé. Je sais que ça soit difficile. T'aider, je veux bien pourtant... je ne suis pas sûr de pouvoir. Je ne suis pas sur qu'il me croit. Qu'il me voit."

Et qu'il puisse résister à une poussée de l'araignée. Lorsqu'il fera face à Nathanaël de nouveau. Déjà dans sa tête le labyrinthe se recrée. Pour mieux perdre l'enfant. Jeremy se doute que la lutte sera plus dangereuse. Maintenant que son Non s'est montré plus convainquant que les autres fois. Mais Jeremy ne sait pas que la peur crée l'affrontement. Et que l'araignée préférera avoir deux coups d'avance sur son pouvoir. Jeremy ne sait pas que la crainte crée la haine. Et que l'araignée préférera le tuer au nom de son amour. Qu'elle tentera tout du moins.

Mais si Jeremy ignore ce que le minotaure lui prépare il a désormais une astuce. Une Ariane qui le soutient.

Les pierres frissonnent encore. La poussière stagne dans le labyrinthe. Les grognements gutturaux du Minotaure ne sont pas loin. Quand déjà le cadavre broyé se relève. Avec un sourire à faire trembler les murs. Le monde en lui se redresse. Comme un corps. Et trace un chemin. Qu'il emprunte à pas lents. Confiant. L'idée éclaire la route. En des milliers d'ampoules qui clignotent. En sur-tension son coeur bat trop vite. Et ses muscles sont crispés dans l'attente. La cigarette brûle déjà ses lèvres. Il crache le mégot à terre. Se saisit de la main d'Aby. La serre tout doucement entre les siennes.

« Des risques? Mais est-ce que j'en ai pris des risques avant? Pas vraiment j'ai l'impression... »

Attends

Attends attends attends!!!

Passe devant la porte d'enfant. Passe devant les portes qui ne s'ouvrent plus. Avance encore droit devant lui. Époussetant sa veste. Méprisant les claquements de l'araignée. Comme des applaudissements sarcastiques. Ou des claquements de dents peut-être. Elle pas nique. Pas nique Pas nique.

Attends on peut discuter voir ça ensemble

MAIS ATTENDS!

Il était temps qu'elle le prenne. Au sérieux évidemment. Comme si elle avait eut la moindre possibilité de le prendre avant. Ainsi donc sa pièce fondamentale est son corps. Ainsi donc son seul pouvoir reste celle de sa queue. Il est une chose que la petite araignée a du mal comprendre. C'est que Jeremy dispose de l'acte de propriété. De priorité. Et si le petit doit marquer le sol. Comme on marque une bête à l'abattage. Alors il vendra le corps. Alors il le tuera lui-même. On appelle ça l'usufruit pétasse.




Comment tu m'as appelé?

Jeremiah, oncle Richard, maman, ou l'araignée, espèce de taré. T'en as pas vraiment d'identité. Alors il est temps de fêter mon anniversaire.

Un an. Un an de trop.

Répète après moi.

Joyeux anniversaire. Joyeux anniversaire.
Joyeux anniversaire Je-re-my.
J'm'offre une véritable thé-ra-pie.

Je cherchais peut-être un moyen de changer ma vie.
Ça n'impliquait pas de bousiller celle des autres.

« L'araignée le fascine? Alors c'est à moi de le faire redescendre sur terre. Il aime baiser? Moi je vais l'enculer. Il va comprendre la différence je pense. »




Les cris hystériques dans sa tête. La conversation qui vire en dispute conjugale. 18 ans de colocation (ou à peu près). Pour finalement être traitée comme ça? Mais mets moi à la rue tant que t'y, hurle-t-elle. J'ai pas essayé de t'aider peut-être???

« Oh ta gueule » marmonne Jeremy. Halètements. « Ou je te fais payer le loyer »

Des années que je veille sur toi. Que je te fournis en clope. Que je t'épargne les monstruosités de la réalité. Des années que je te borde. Que je viens te sucer. Des années que je te câline. Des années à t'élever. Et voilà tout ce que je reçois? La voix est plus stridente. Plus adulte. Plus féminine. Les gouttes de sueur roulent sur le front de Jeremy. Qui vacille. Quand la voix soudain est masculine.



Alors c'est toi Jeremiah?

Ta maman m'a beaucoup parlé de toi



Non. Pas cette voix là.

Celle là.



Des années à passer le pas de ta porte. Pour te raconter des histoires. Pour t'emmener hors du monde. Et c'est tout ce que je reçois. Sale ingrat. Ouvre la bouche. Ferme les yeux. Respire par le nez. Déglutit. Allez avale. Avale tout.


« Aby... » Souffrance.


T'aimes ça? Est-ce que tu m'aimes?


Mais tu savais pas la bonne réponse. Car la réponse habituelle était mauvaise. Et qu'est ce que tu vois? Qu'est ce que tu vois?

« ABY!!! »

Il tombe. Frappe la tête durement contre une machine à laver. Essaye de brouiller l'image. Du tatouage. Cette araignée. Cette veuve noire. Cet assassin. Qui s'approche. L'engloutit. Est immense. Va le manger. Se fait manger. Et il n'arrive plus à respirer.

Tend les mains. Essaye d'attraper quelque chose. Un tissus. Pour se bâillonner. Ne pas vomir. Enlever l'image. Repousser l'attaque. Quand l'araignée se fraye un chemin. Lutte parmi les pierres. Renverse les portes. Repousse les murs du chemin. Qui se referme. L'empêche de passer. Mais elle va passer. Il va réussir. Il y est presque. Et quand tout sera fini il la tuera. Elle. Et le gamin. Et le gamin avec. Dans la chambre. Le gamin pour toujours.

Qui crie son nom à l'autre. Qui crie ces putains de syllabes. Ces putains d'échos. Ce putain de Nathanaël.