Parfois, je me demandais comment certains résidents entraient à Teenagers. Je devais m'entretenir avec une jeune fille aujourd'hui, mais elle n'avait pas vraiment l'air d'une délinquante – d'après son dossier, s'entend –. Je devais la voir parce qu'aucun de mes précieux collègues n'avait le temps, et que vraisemblablement, c'était une nécessité. Appuyée au mur face à la machine à café, je buvais un chocolat chaud pour bien me réveiller. Ma nuit avait été mouvementée. D'ailleurs, pour un bon réveil, il aurait été préférable que je prennes un café; mais je n'en avais pas eu envie.
Au bout de quelques minutes, je regardai l'horloge. Il était l'heure d'y aller. Jetant le gobelet de plastique blanc dans lequel j'avais bu, je soupirai et me mit à marcher. Au rythme de mes pas, on pouvait entendre mes chaînes émettre un bruit métallique. Cependant, au bout d'un couloir, j'eûs besoin de faire une pause. Le côté de mon corps qui était remplacé par des prothèses me faisait souffrir. Je pouvais m'estimer heureuse que ces douleurs ne durent pas longtemps, mais c'était en revanche moins drôle de les subir. Je restai là, contre le mur, me tenant le bras. Heureusement qu'aucun résident n'avait connaissance de mon dossier médical, sinon j'aurais déjà eu fort à faire avec les fortes têtes.
Une fois cette douleur passagère passée, je me remis en route. Après tout, je n'étais plus très loin de mon bureau. D'ailleurs, une fois que j'eûs passé la porte de celui-ci, une odeur de chocolat m'arriva aux narines. Miam! Par réflexe, je regardai mes murs bariolés de posters, avant de poser mes yeux sur mon bureau. Je refermai la porte derrière moi, mais fût surprise de voir une résidente penchée au-dessus du divan, une éponge à la main, aussi rouge qu'une pivoine. Je la regardai, incrédule, alors qu'elle allait ranger l'éponge. Oui, je savais que le divan n'était pas dans un bon état, mais ayant écopé du bureau d'un ancien psychologue – auquel j'avais eu droit lorsque j'étais une délinquante –, il fallait faire avec les moyens du bord. Je changerais sans doute au cours de l'année. La jeune fille déclina son identité, avant d'indiquer la provenance des cookies. Quelle charmante attention elle avait eue là.

- Bonjour, Nienna. Je suis Laura, Laura Layszee. Merci pour les cookies, c'est gentil.

J'étais un peu étonnée d'un tel présent : Elle était la première des résidentes (et, fatalement, la première des résidents en général) à m'apporter quelque chose. Je déposai mes clés sur le joyeux capharnaüm qui jonchait mon bureau, et allai baisser le store : Le soleil tapait méchamment contre la vitre, et il était très désagréable de le voir. Une fois cela fait, je m'approchais de la jeune fille, les bras croisés.

- J'ai dû t'appeler plus par nécessité qu'autre chose. Et à vrai dire, je n'ai pas vraiment envie de te questionner. C'est bizarre, tu fais trop pure pour les crimes que tu as commis. Mais je ne te laisserais pas pour autant partir.

Ce que je disais était vrai : Cette jeune Belge avait l'ai bien trop pure pour avoir été envoyée ici. Peut-être que ce qui était dit dans son dossier était une regrettable erreur judiciaire, je n'en savais rien. Elle faisait vraiment figure d'un ange chez les démons. C'était étrange.

- Au fait, tu faisais quoi, avec l'éponge?

J'avais une jolie vue sur son décolleté, et à dire vrai, cela me donnait des envies pas très catholiques. Si elle voulait m'appâter, c'était gagné. J'avançai de quelques pas, l'air de rien, jusqu'à me retrouver derrière elle. Elle avait attisé ma curiosité, la donzelle, avec une tenue de soie comme elle en portait et cet aspect de sainte ni-touche. Une fois rendue dans le dos de la jeune fille, je m'approchai en silence, ma bouche allant vers son oreille pour y chuchoter quelques mots.

- A moins... Que tu ne veuilles pas me le dire?

Mes mains s'étaient déposées sur les épaules de Nienna. Vraiment, elle était plus frêle que ce que je ne pensais. Mon regard dévia sur le poster d'un groupe de métal que j'avais placardé sur le mur à ma droite. Comme cela, je pourrais peut-être masquer mes intentions : Au moins, elle ne les lirait pas dans mes yeux. Et c'était déjà ça de gagné!

Je n'obtins aucune réponse. Elle était muette, ou quoi? Hum, il faudrait sans doute que, tout compte fait, je regarde son dossier. Je l'avais déjà lu en diagonale, mais le seul détail vraiment marquant avait été sa manie excessive que tout soit propre. C'était étonnant qu'elle ne soit pas déjà en train de mettre de l'ordre dans mon bureau – ah, mais non, je ne la laisserais pas faire! La bouteille de scotch-whisky dans mon tiroir devait rester un secret d'état! Eh oui –. Alors qu'elle tournait la tête, je la tournai aussi, et nos lèvres s'effleurèrent. En d'autres circonstances, j'aurais éclaté de rire, surtout en voyant son teint cramoisi. Si ç'avait été une amie, oui, j'en aurais sans doute ri : Un de mes principes était de ne jamais draguer les ami(e)s, et si par malheur un geste physique arrivait, le rire aurait détendu l'atmosphère. Mais elle... Ce petit mouton blanc immaculé... C'était trop étrange. Je restai là, pantoise, sans bouger. Mes yeux étaient profondément enfoncés dans les siens, comme s'il s'agissait d'un aimant dont je ne pouvais me décrocher. Et ces joues délicieusement rouges... Ca me faisait penser à une pomme bien rouge, ou encore une fraise... Peut-être des cerises, tiens. Quelque chose de sucré, fruité, dans quoi on aurait envie de croquer. Mais lui mordiller les joues était trop intime. Je tournai brusquement la tête vers la direction opposée, lâchant ses épaules, me redressant. J'avançai de quelques pas, me mettant dos à elle pour me masser l'arête du nez. C'était une résidente, après tout! Une délinquante! Je n'avais pas le droit de me laisser aller. Quoique, j'avais bien de l'alcool dans un tiroir. D'ailleurs, présentement, mon estomac me brûlait : Je mourrais d'envie d'avaler une ou deux gorgées du liquide ambré. Mais je savais que si je le faisais, je ne pourrais pas m'arrêter. Il fallait que je résiste. A n'importe quel prix.
Je fis quelques pas, venant refixer un coin de poster au mur. Puis, je croisai les bras et regardai ce poster du concert de Muse. Il fallait que j'évite de penser à la charmante créature derrière moi. Je me raclai doucement la gorge.

- T'es muette, ou quoi? T'as pas répondu.

Je tournai légèrement la tête, posant mon menton sur son épaule. Je pouvais voir le haut de mon tatouage : Le bout de deux pattes, ainsi qu'un petit bout du haut du coeur. Anna. Pourquoi dans de tels moments, je pensais à elle? Je secouai vivement la tête et me retournai brutalement, m'approchant à grands pas d'elle; à l'instar d'une chasseresse. Puis, je me plantai devant elle et la prit par les épaules, regardant à nouveau ses délicieuses prunelles.

- Ecoute, laisse tomber.

Sans lui laisser le temps de répliquer ni rajouter quoi que ce soit, je me penchai vers elle et vint l'embrasser, fermant les yeux, les sourcils légèrement froncés. Je forçai le barrage de ses lèvres et allai chercher sa langue. Et dès lors, je sentis une douce sensation s'emparer de moi. Je n'aurai su en déterminer la cause, cependant. Derrière mes paupières closes, je pouvais voir Anna. Je chassai rapidement son image de mon esprit. Pas que je ne l'aimais pas, mais si je ne me contrôlais pas d'avantage avec cette résidente, j'allais finir par la violer. D'ailleurs, je rompis l'échange avec un certain énervement, alors qu'il n'avait guère duré plus de quelques secondes. Je lui tournai le dos, venant poser une main sur mon bureau et venant porter l'autre à ma bouche pour me mordre le doigt. Avec les mêmes yeux clos et les mêmes sourcils froncés. Que m'arrivait-il? Que faisais-je? Quelques respirations saccadées parvinrent à se faire entendre. Comme si j'allais pleurer – chose qui n'arriverait pas –. Je me retins d'ailleurs de taper du plat de la main sur ce fichu plan de travail.
Une fois ma ''rage'' canalisée, je soupirai un grand coup et relâchai mon doigt, qui portait à présent la marque de mes dents. Je rentrai la tête dans les épaules, inspirant par le nez quelques grandes gorgées d'air frais. Après quoi, sans bouger, je repris la parole.

- Pardon, je ne sais pas ce qui m'a pris.

Je me massai les tempes avec la main que j'avais mordue, les yeux clos. Mes sourcils s'étaient très légèrement détendus cependant. Si elle avait apprécié, peut-être reviendrait-elle à la charge? D'ailleurs, avait-elle apprécié? Mystère, elle semblait aussi muette qu'une tombe. Je ne savais même pas si elle savait parler. J'avais envie de prendre mes jambes à mon cou et de me barrer vite fait. Je contournai mon bureau, me retenant de justesse de l'enjamber, et allai m'installer dans mon siège, me mettant les mains sur le visage durant quelques secondes avant de les ôter. Il fallait que je calme mes ardeurs, à n'importe quel prix. Je rabaissai mes mains, rouvrant enfin les yeux. Mais un détail me turlupinait. J'avais besoin de savoir.

- Dis-moi, Nienna... T'as aimé?

Je restai profondément calée dans mon siège. Comme ça, je devais avoir une mine dure, d'autant que mes mains s'étaient plaquées l'une contre l'autre au niveau des doigts. Oui, j'avais les doigts joints. Ce geste que les psys exécutaient si souvent. Non, je n'étais pas lunatique; et n'était même pas sujette à des sautes d'humeur. Cette enfant me perturbait juste étrangement, sans que je ne puisse me l'expliquer.