Sven ouvrit son agenda. Il tourna les pages jusqu'à arriver sur la journée d'aujourd'hui et jeta un bref coup d'œil aux consultations de la journée. Il le faisait par habitude, il savait par cœur son horaire pour les deux semaines à venir. Aujourd'hui, il ne restait qu'une seule personne à voir. Léonore Bel. Sven posa ses doigts sur sa tempe; il avait un terrible mal de crâne. Il appréciait beaucoup entendre les petits délinquants parler de leurs problèmes, mais cette journée avait été éprouvante. Un des adolescents, particulièrement en colère contre on-ne-sait-quoi, avait passé toute l'heure à hurler en faisant les cent pas dans la pièce. Par chance, Sven savait que Léonore n'était pas du genre à piquer une crise de nerfs et que sa consultation, comme toutes les autres d'avant, serait très probablement apaisante. C'était l'une des rares dont le psychologue doutait du bien fondé de son internement. Il était plutôt d'avis, tout comme elle, que sa foi n'était pas dangereuse, seulement un peu trop fanatique. D'après ce qu'il avait pu en constaté jusqu'à présent, Léonore était simplement née dans une famille qui ne partageait pas sa foi. Sachant cependant très bien que les pensionnaires de l'institut était plus que doué pour la manipulation, Sven préférait garder une certaine méfiance. C'est pourquoi les rencontres avec Léonore s'étaient résumées, jusqu'à présent, à une discussion innocente de la religion et de la foi. Le psychiatre cherchait un déclencheur qui pourrait lui faire comprendre pourquoi cette jeune fille blonde se trouvait à l'institut et non pas dans une église, à genoux devant une statue du Seigneur.

Jusqu'à présent, hormis un suivi aveugle des lois dictées par la Bible, et non par l'État, Sven n'avait rien trouvé de reprochable. Léonore était très cohérente, ne démontrait aucun signe d'excitation, de paranoïa, n'avait pas de troubles du sommeil... À son arrivé, la patiente était sous antipsychotique. Sven s'était empressé de diminuer les médicaments, qu'il jugeait inutile et dangereux, jusqu'à les arrêter complètement. L'état de Léonore ne semblait pas changer, prouvant ainsi qu'une simple thérapie pourrait venir à bout du "mal" dont elle souffrait. Lentement, discrètement pour ne pas perdre sa confiance, le psychiatre avait tenté de lui faire comprendre que de laisser un homme mourir n'était pas chose correcte. Voyant que l'adolescente ne changerait pas d'avis, il avait d'abord voulu comprendre pourquoi elle pensait ainsi. Au fil des séances, Sven s'était rendu compte que sa foi était inébranlable et que tout acte, pour peu qu'il ait pour causer la volonté de Dieu, était justifiable, même si c'était monstrueux aux yeux de la loi.

Sven ouvrit un tiroir de son bureau en chêne et sortit une chemise beige, étiqueté au nom Bel, Léonore. À l'intérieur se trouvait le dossier médical et plusieurs pages de notes. Le psychiatre les relut rapidement, s'attardant aux mots-clés et à la mention "Tenter une autre approche" qui portait des étoiles. Il avait passé les deux heures suivant la dernière séance à se renseigner sur la religion catholique, dans le but d'apporter des arguments différents. Bien que les murs de son bureau soient ornés de bibliothèques contenant une petite centaine de livres, le psychiatre n'en avait aucun référant à la religion, quelle qu'elle soit. Il avait du aller en librairie et, vu son amour pour les livres, y avait passé un temps fou et dépenser un montant assez important.

Quelques coups à la porte le sortirent de ses pensées. Il rangea le dossier et s'appuya, mains jointes, sur son bureau. La porte s'ouvrit sans attendre de réponse et une petite tête blonde passa l'encadrement. Léonore dit une excuse qui, venant d'un autre aurait fait s'esclaffer de rire le personnel en entier mais, venant d'elle, était tout à fait plausible. Avec un sourire discret, Sven montra de la main une des chaises qui se trouvaient devant le bureau. Elles étaient en chêne, comme le bureau, recouvertes d'un tissus rouge en mauvais état vu les traitements que lui avait infligé les autres patients depuis des années. Sven s'était toujours dit qu'il devrait les changer, mais il ne l'avait jamais fait.

Il se renversa sur son fauteuil noir et prit un stylo, qu'il tint du bout des doigts, juste pour dire qu'il avait quelque chose. Une feuille blanche immaculée se trouvait à plat sur le bureau, parmi des dossiers, des cahiers, des revues et toute sorte d'autres paperasses. Une assiette avec des miettes de ce qui devait être un biscuit était enseveli sous les trois derniers numéros de "Psychology, Crime & Law".

-Alors Léonore, bien dormie? demanda Sven, d'un ton convivial, remuant à peine les lèvres.

Les premier venus pourraient croire que c'était par ennui et désintéressement qu'il parlait et agissait de la sorte - tête légèrement sur le côté, yeux mi-clos et distraits. En fait, c'était le contraire: cette attitude était l'une de celle qu'il adoptait lorsqu'il montrait un intérêt pour son interlocuteur. Lorsqu'il était réellement ennuyé, il se contentait de partir, laissant parfois les consultants seuls dans son bureau avec un air abasourdi sur la figure. Dans le cas présent, ses yeux étaient même un peu plus ouverts qu'en générale; les problèmes de ses patients étaient sa plus grande source d'amusement.