Layla ne se laissait pas facilement dépasser par l'action; en général, elle parvenait à maîtriser la situation et faire face à la plupart des évènements qui lui tombaient littéralement dessus. Malheureusement, la journée avait déjà été suffisamment compliquée pour lui irriter les nerfs, la nuit blanche atroce, et désormais elle devait trouver sa chambre seule. Elle détestait, à peine arrivée, tous les surveillants de l'institut. Ils étaient peu loquaces, sympathiques comme des responsables de morgue et aussi utile qu'un plan de métro sans le "Vous êtes ici". Et, Layla le constata en regardant à droite puis à gauche, elle ne savait pas où elle était. Un surveillant l'avait vaguement renseignée -vraiment vaguement- sur l'endroit où elle pourrait trouver où crécher. "On t'a foutu dans une chambre... euh, à l'étage. Ton nom est sur la porte. ". Voilà l'unique indication qu'elle possédait donc: à l'étage, et elle devait chercher une étiquette avec son nom. Un peu plus, elle se serait cru dans une chasse au trésor: trouvez l'indice qui vous permettra d'ouvrir la porte de votre chambre ! Pas de lit, pas de repos tant que vous n'avez pas résolu l'énigme. Attention, le plan ne vous sert à rien, la croix qui indique le trésor n'est pas à la bonne place, et les points cardinaux sont inversés.

Elle lâcha un soupir long; elle-même ne l'entendit pas derrière la musique lancée à fond dans ses écouteurs: encore du Mark Knopfler, cette fois-ci d'un album qu'elle ne considérait pas comme du rock mais plutôt de la country-blues. Plus mature, plus fini, un matériel plus robuste et une ambiance prenante, The Ragpicker's Dream.

Elle serra les dents en continuant d'avancer lentement -traînant les pieds-, observant de chaque côté les portes encastrées dans les murs rougeâtres, beiges, grisaillé hideux. Comment, d'ailleurs, avait-on idée de faire de si affreuses choses ? Pas de décoration, un sol aussi froid qu'une grille de métal dans l'hiver, un plafonnier émettant autant de lumière qu'une lune noire dans une nuit d'orage. Non sérieusement, elle aurait du rester dans l'Auditorium. Elle recala sa guitare sur son épaule. Apparemment, tout de même, elle se trouvait dans le bon couloir. Des étiquettes à moitié déchirées indiquaient des noms, sans doute les adolescents traînant là avec leurs chambres.

Elle passa une cinquième porte en se mordant la lèvre inférieure. Puis trouva enfin la bonne: une étiquette; Vitany Weismann, Layla Thomson.

Elle ne prit pas le temps de frapper, c'était sa chambre après tout: elle ouvrit le battant violemment, sans se préoccuper de...

-" Aïe ! "

... l'adolescente qui se tenait derrière.

- " Oh. m*rde. Enfin. Euh. Oups quoi. Je suis désolée. Pas fait exprès. Je ne pensais pas qu'il y aurait quelqu'un. Ca va ? "

Elle ôta ses écouteurs dans la plus grande précipitation, lâchant au passage son sac au sol -mais gardant sa guitare bien dans son dos!- et rougissant. Il n'y avait pas réellement de quoi, mais elle se sentait coupable de lui avoir enfoncé la porte dans le front, à l'autre; autre qui devait se nommer Vitany, si l'on suivait l'étiquette. Elle faisait une tête et demie de plus qu'elle, peut-être même plus, des cheveux longs de jais dans le cou, des yeux bleus. Une fille, donc. C'était une bonne chose, elle n'aurait pas à partager la chambre avec des obsédés ou des psychopathes; sauf si elle l'était!
Mais de prime abord, elle ne l'aurait pas calée en prison, pas comme tous ces drogués dans les couloirs ou ce type étrange dans le grenier tout à l'heure.

Layla douta cependant qu'elle n'était pas en état de juger, avec la fatigue: elle devait sans doute elle-même ressembler à une droguée, ce qu'elle n'était en aucun cas, et captait à priori les évènements de manière plus forte; elle risquait aussi d'être plus émotive et sensible, ce qui, en y réfléchissant, la gêna un peu. Pour une première rencontre avec une colocataire, il ne valait mieux pas tout foirer en la braquant simplement d'une phrase malencontreusement balancée...

- " Euh... Tu es Vitany c'est ça ? "