[Pas de problème, du moment qu'on bouge ^^]
Lulu. Réfléchit deux secondes. pose-toi là et réfléchit.
Combien de temps ça fait que tu traîne ici ? Non, pas dans le couloir, ici ! Dans ce manoir,dans cette ville, à Teenagers. Combien de temps ça fait que t'as pas respiré un autre air que celui-là et celui de la maison des Valentines pour Noël ?
Quatre ans ? Quatre ans. Quand quand-même. Quatre ans. C'est affligeant. Quatre ans. "Four Years". Tu mâches l'air pour former les deux syllabes mal mariées. C'est moche. Presque aussi moche que ce que ça veut dire. Tu as passé ton adolescence ici.
Luca se relève de la terrasse qu'il n'a pour une fois pas barbouillé. Même si ça avait été tentant. Il s'était contenté d'un "Fuck the Major. Deeply." au feutre noir sur une brique. Époussetant son jean noir un peu trop large pour être beau (parfait) et sa chemise verte à carreau bien ample (parfait aussi) il se mit à arpenter les couloirs... En faisant profil bas. Écoutant d'une oreille distraite les rumeurs sur l’araignée et la guêpe, les mains dans les poches, limite sifflant pour pousser sa mèche rouge sur le front.
C'est misérable quand même. Quatre ans à ne rien faire de constructif, à par peut-être terminer tes études par correspondance, en te sociabilisant avec des dépressifs, des homosexuels et en continuant de te faire tabasser, mais seul. Psychologiquement, personne ne t'a apporté grand chose. Tu prends pas de médocs, tu ne te fais pas traiter pour ton caractère de m*rde... Encore heureux remarque.
Pas par pas, dans les couloirs, parfois vides, parfois bondés... Dépend de la direction. La foule bigarrée des mals dans leurs peaux et des très assumés. Le khôl noir autour des yeux ou les cheveux teint en rose et bleu. Ah ce que c'est beau la jeunesse. Mais qu'est-ce qu'on fait pour eux ?
Pendant trois ans j'ai vu ces gens continuer à se droguer en faisant ami-ami avec des surveillants coulants. Et il y a un an, le cœur battant de la débauche abandonnée à cesser de battre pour se réfugier dans les profondeurs d'une pseudo-secte anarchiste. Certains pensent que c'est une légendes née du tremblement de terre l'an dernier. D'autre savent qu'il vaut mieux pas y toucher. Et d'autre y sont jusqu'au coup, attendant l'heure de piquer le major et en espérant qu'il soit allergique au venin.
Dis, tu veux pas y réfléchir, toi aussi ? Tu fous la m*rde presque toutes les semaines, et toutes les semaines tu te prend une baffe. Tout ça pour quoi, au final ? Pour récupérer ton canif ? Parce que tu supporte pas qu'on te dise de te lever le matin pour 7:30 devant ta chambre ? Parce que t'en a marre qu'à chaque foi que tu passe dans son bureau, le major te rappelle avec l’amabilité d'un chacal chiant sur son dessert que ton dossier médical a imprimé noir sur blanc que tu n'étais pas un mec ?
Luca. Lucaaaaa~~~. Calmons-nous. Ecoute la Lucy qui est en toi. la Lucy qui est en toi veut avoir la paix et sortir vite d'ici pour retourner voir son frère. La Lucy qui est en toi veux être assez vieille pour bosser dans le coin et visiter Rose, histoire de rester amis. La Lucy qui est en toi veut trouver un plan, un vrai plan pour rendre Kyllian heureux.
Alors arrête de déconner !
Mouais. Arrêter de déconner. En ouvrant la porte du salon, Lulu se dit que pour arrêter de déconner, il fallait admettre qu'on faisait une connerie. Et ça, c'était d'un dur...
Ses yeux se posent sur un bout de bonhomme blond à casquette. Avec un portable dans les mains. Non, le fait que l'humanoïde à priori masculin-mais-sait-on-jamais soit blond et porte une casquette, ça, Lulu s’en foutait. Même s'il se demanda si la mode changeait à ce point dehors pour que les casquettes reviennent à la mode en Californie sur les petites têtes blondes de baby-rockeur qui n'ont pas l'air d'écouter de rock. Non, ce qui était vraiment troublant, c'était qu'il avait. Un. Téléphone. Portable.
Lulu s'avança derrière et comme à son habitude glissa sa main entre le bras et la cote du garçon et subtilisa l'objet.
Oui oui. j'ai bien dit "comme à son habitude".
Sale pickpocket.
"Woah, il a l'air pas mal ce modèle ! Comment t'as fais pour le faire rentrer ?"
Puis en baissa la tête, il s’aperçut qu'il s'était trompé : c'était peut-être une tomboy, mais c'était une fille. Mignonne. Blonde aux cheveux courts. Genre adorable. Genre jamais vu dans l'établissement avant. Genre jeune.
Quel âge encore ?
"Nouvelle tête."
Il jeta un oeil au portable qu'il tenait haut pour éviter de se le faire reprendre. "Ça y est, j'y suis." Lulu sourit aimablement.
"Nouvelle tout court. Tu permets que je passe un coup de fil ?"
Il tira la langue en commençant à composer le numéro des Valentines. IL avait envie d'entendre la voix de son petit frère. Ça faisait longtemps.
"Tu devrais vite cacher ce truc, sinon ils vont te le chourer. Attend deux s'condes. Oui ? Oui allô ? C'est moi ! Comme ça qui moi, c'est Lulu, la grande sœur de Lucas. Oui, oui, vas y passe à ton p'ti maître, conchita... Nan j'ai rien dit m'dame. Ah Lucas ! Ça va ? Ouais ouais ça roule ! Comment ça va l'école, et ton examen médical, c'était comment ?"
Lulu, ou l'art de se promener dans une pièce en utilisant un objet qui ne lui appartient pas, en se reculant et en montant sur la table basse s'il le faut pour ne pas couper la conversation. L'acrobate était de retour.
"Oui, ouais. Bah c'est cool alors. Chuis contente de t'avoir entendue. Bah je t'embrasse fort. Moi ça roule, comme d'hab, le calme plat. Arrête avec Rose, je te dis que c'est clair. Je ais que tu l'aimes bien, et moi aussi je l'adore, mais c'est pas la question... Oui, oui, aller va. Aller ouste. T'adore frangin. Bye."
En raccrochant, Lulu avait un petit sourire triomphant. Puis il se retourna vers la personne qu'il venait de bizuter et lui offrit en guise de merci un grand sourire, sans pour autant cacher ou lui rendre son téléphone.